Guy Ferdinande, Au-delà j'y suis j'y reste - Recueil 2023, 76 pages en A4 avec 6 dessins : Chez les Agosils








CHEZ LES AGOSILS

 

Ce n’est pas parce que le ciel leur est une direction,

Un sens s’il faut les en croire, qu’ils regardent en l’air,

Ils savent aussi faire profil bas quand, le grand âge

Les prenant au dépourvu, ou alors l’indicible désir

De jeter cette éponge à quoi leur conscience

Aux quatre vents finit par échoir, ou échouer,

Ils mea-culpabilisent comme de dégoûtants gérontes.

 

Qu’est-ce d’autre qu’une direction dans une direction,

Le Ciel ? S’ils semblent maintenant rivés à l’évocation

De leur nébuleuse, à l’ineffable, à la dilection, c’est

En raison, irrémédiable dans les détails, de la cuirasse

Dont ils sont devenus le défaut. Aucune supplique n’a

Rectifié la pernicieuse action de ce qu’ils comprenaient

Par vie. Ils ne s’avouent pas vaincus, ce sont les héros.

 

 

 

 

Monologue de sourd

 

 

La belle comateuse procède par réveils successifs,

Sa giboyeuse fulgurance en dépend.

Autant dire qu’elle nous zappe ça en 4ème vitesse,

C’est pourquoi l’éternité paraît si brève.

Mais aujourd’hui ça va être une bonne journée,

Une bonne journée pour perdre son pucelage.

 

Je l’ai déjà perdu ?... Je ne peux pas réessayer ?

Pourtant, je n’ai rien à perdre. Dites,

Pourquoi les choses doivent être si définitives ?

S’est-on jamais demandé « À quoi ça ne sert pas ? » 

À quoi ça ne sert pas l’amour ?

À quoi ça ne sert pas de chercher à comprendre ?

 

La Manif pour tous pourrait descendre dans la rue ?

Bon Dieu, quand se posera-t-elle la question

À quoi ça ne sert pas ce pucelage ?

Puisque ce pucelage ne sert pas à ne pas le perdre.

Je ne dis pas ça pour moi, juste pour causer, hein !

N’empêche, ce doit être rudement bon de le perdre.

...

— Heureux perdants !

 

 

 

 

Bougeant le petit doigt

 

      Que ce soit pour diverger ou pour converger, éviter ou rencontrer, associer ou dissocier, l’existence est le terrain de prédilection des petites manœuvres qui l’habitent, ainsi cette mince lapalissade.

 

 

Délégué par quel lointain organe, mon auriculaire entreprit-il

De me rappeler à son bon souvenir ? Petit doigt ou poème,

Peut-on jamais dire au nom de quelle planète ça vibrionne ?

L’au-delà ne communique que par indices insondables.

 

Connecté à l’intestin grêle comme au mouvement des astres,

La pulpe de la phalange distale, entre drap et polochon, se mit

À me procurer une petite gêne qui à n’en pas douter était signe,

 

Tandis que de son côté l’oreille émettait un cliquètement dont

La régularité rythmique démentait le morse qu’il semblait :

La voix des dieux papillonne mais ne se pose pas sur la langue.

 

M’étant retourné, mon petit doigt se retrouva pulpe en l’air

Et se tut. L’un expliquant l’autre, c’est suite à cet oracle que

Me voilà maintenant dans le creuset de ta lecture sourcilleuse,

Ami proche et lointain, et que je te souhaite une bonne journée.


 


Du temps où trop n’était jamais assez

 

 

D’une part, il n’en finissait pas, d’autre part, il filait ventre à terre,

Le temps. Et moi j’étais trop fatigué : terre trop basse, chaleur

Trop humaine, rues trop longues, escaliers trop hauts,

 

Gosses trop nombreux, pauvres trop décharnés, vieux trop beaux,

Villes trop violentes, autos trop totémiques, évidence trop évidée,

Intelligence trop artificieuse, air pur trop cher, froid trop piquant,

 

Dieu trop occupé, réalité trop poisseuse, guerres trop lasses,

Trottinettes tropicales et conscience flatulente. Enfin,

Tout ça vous le savez. Aussi me fallut-il émonder

 

Le trop, confiner l’excès, le forclore dans son rien

Principiel et refaire, tant que faire se pouvait,

Le peu qui en est la forme la plus éloignée.

 

 

 

Aubade

(De l’inéligibilité pure)

 

 

Le ver du fruit dans nos murs, nous le savons ; le besoin de parler a priori

Indifférent à l’envie d’entendre, nous le savons ; la pantoufle de verre et

Les pieds de plomb, nous le savons ; la morale de l’histoire antinomique

De l’histoire de la morale, nous le savons. Au cœur des choses la bruyante

Vis sans fin que nous savons, nous en avons pris l’hébétude.

 

De toutes nos veines et déveines, nous régurgitons ce brouet, sang de navet

Et eau de boudin, afin de fertiliser la commande sociale.

 

Et pourtant, le soleil filtrant entre les branches du pommier et les ailes

Des papillons, une odeur de romarin fraîchement coupé combinée avec

Le chant et l’ardin de Coumbane mint Ely Warakane nous transporte.

Sans dénier au ciel sa réputation d’harmonie héritée de tant de guerres lasses,

Cette aubaine (r)appelle, comme à corps perdu, la vie apéritive.

 

 

 

 

De l’illégitimité en poésie

 

 

Je déambule dans cette rue de Béthune aujourd’hui si déparée.

J’écris que j’y déambule, ce qui en effet est fort inventif,

On n’a encore jamais écrit et, en même temps, déambulé,

Outre le fait que je ne vais plus depuis perpète, rue de Béthune.

 

Personne n’étant censé ignorer la complexité du monde,

C’est davantage chez moi, à Lompret, qu’ont pris l’habitude de

Jouer à ce que le démon soit un autre, mes grandes espérances.

Rien de sorcier à cela : le simple c’est le casse-tête.

 

En tant que pourvoyeur d’illusions, ou plus prudemment de

Fictions, j’écris que la rue de Béthune prolonge la rue

Raymonde Peschard à Constantine. Et pourquoi pas ?

La terre est ronde, après tout ! Écrire, déambuler, c’est kif-kif.

 

Poursuivons. Je me promène rue Raymonde Peschard à

Constantine, en train de m’imaginer flânant rue de Béthune,

Une des rues les plus revêches qui se puisse imaginer,

Mais le fait est là et bien là : rue de Béthune... à Constantine.

 

 

 

 

En Sautoir

 

 

 

     Une fois arrivé, je ne me souviens pas avoir vu autre chose qu’une surface immaculée très lisse, une plaine enneigée à perte de vue, et cet oreiller sur lequel j’aurais pu lire quelque chose comme « Bienvenue » ou « Welcome », « مرحبا بكم », « ողջույն », « добро пожаловать », « בברכה »... si mon oreille avait eu la faculté d’objectiver la sensation qu’il me procurait. Sur ce blanc se révélèrent des traces que j’eusse été bien en peine d’identifier, traces qui peu à peu s’apparentèrent à des signes dont le déchiffrage ne m’était pas encore acquis.

 

     Et comme on se figure que ça va durer, et comme on aimerait que ça dure, ça ne dure pas. Très rapidement ça arrive à ras bord, ça déborde de choses et d’autres autour de soi. Les autres, tiens, parlons-en ! Quel étonnement ! Ils viennent du sud, ils viennent de l’est, ils vont vers l’ouest, ils cherchent un pays et courent les rivages ivres de patience et d’impatience mêlées, pleins de bonne volonté et boueux : les hommes ! Ce sont les hommes et ce sont leurs visages qui n’en finissent pas de m’interpeller.

 

            Parmi eux, un visage non moins étrange dans lequel je suis tenu par le recours au miroir d’en reconnaître un bout. De quelle étrangeté parlons-nous ? De celle d’être moi au milieu des autres ou de celle des autres autour de ce moi dont j’évite de dire « c’est tout moi » ? Ils ont mis tant de fois les petits plats dans les grands ! Et tout ce bon vouloir dont ils ne cesseront jamais de faire preuve... Or vivre est un vacillant acheminement au fil de limites happées par leur maelstrom. Santé, intelligence, amour, connaissance, liberté, tissent le cilice. La vaste prairie n’excède pas l’étau du désir rivé à la maigre pitance.

 

 

 

 

Éclisse

 

 

     Je suis loin de trouver la langue française si luxuriante que cela. En amateur de néologismes que je suis, je me suis souvent demandé pourquoi tel ou tel mot qui me manquent quand j’écris, n’existent pas. Prenons le mot apatride, dérive-t-il du mot apatrie ? Que nenni, le mot apatrie n’existe pas, et c’est regrettable car dans bien des cas « Allons enfants de l’apatrie » aurait plus de sens que cette obsolète version ânonnée les soirs de matchs de foot. Dans cet ordre d’idée, l’indécidabilité phonique entre « la poésie » et « l’apoésie » me convient. Le « a », directionnel (s’il vient du latin) ou privatif (s’il vient du grec), n’efface pas le mot, il le déplace dans une antériorité ou une extériorité, et ce avec d’autant moins de scrupules que pour grande part désormais le poème se survit avec les e-poets.

 

     Est-ce céder à l’inauthenticité que de se décréter apoète ? Être poète implique une appartenance nécessitant d’écrire comme les poètes — de la poésie, parfois — et c’est surtout un métier. Il n’en demeure pas moins que si les apoètes n’écrivent jamais comme les poètes, il est fréquent de rencontrer des poètes qui se risquent à écrire à la façon des apoètes pour cette raison, j’imagine, que les apoètes ont une évidente filiation avec les Zapotèques. L’apoésie comme antépoésie ? D’anciens documents font état de zapoètes (sans majuscule) qui, à l’instar des Zapotèques conquis par les Toltèques, refoulés par les Mixtèques et défaits par les Aztèques, furent soumis par les Poètes (avec majuscule) en dépit du fait que l’apoésie était à l’éclair ce que la poésie est à la pensée courte.

 

 

 

 

La Gale y pète ses plombs

 

 

La Littérature (sélections vénales, camelots,

Épigones, souscripteurs comme actionnaires,

Tiroirs à double fond, miroirs aux alouettes,

Écornifleurs, monopoles, hommes de paille,

Stratèges de notoriété, jurys, girouettes, etc.)

Est bannie de mon horizon.

Je n’écris pas au nom de ses légataires.

 

L’idée de sniffer la culture qu’elle refourgue,

Me fout la pécole. Aussi, ni ne la fréquente

Ni ne lui dit merde, la savoir loin me suffit.

Je n’écris ni pour la bigote ni pour la bêcheuse,

Les petits airs éthérés qu’elles affectent,

Leur abyssale conjecture, elles se les carrent.

 

Et pas davantage pour l’avenir ou le vieux Fritz.

J’écris pour que Rintintin puisse enfin jouer

À chat perché avec Milou, pour Cunégonde aussi,

Pour l’engoulevent au Cap de Bonne Espérance,

Pour Hannibal Barca. Que dise que je n’écris pas

Qui veut, moi je brûle toutes les ficelles !

 

 

 

 

Manne du siècle

 

 

Ça court les rues, cette gêne d’être ce que nous sommes. Cette gêne

des petites certitudes que nous sommes, du corps que nous sommes,

de l’ignorance que nous sommes, du désordre que nous sommes,

des pensées que nous sommes, des masques que nous sommes,

de la fragilité que nous sommes, les livres que nous sommes,

de l’esprit que nous sommes, de l’amour que nous sommes,

 

Faire état de notre embarras, déshabiller Pierre, rhabiller Paul...

Qui ne dirait qu’il a déjà versé ?

 

Cette gêne des frusques que nous sommes, de l’indifférence que nous sommes,

de la boustifaille que nous sommes, des pieds et les mains que nous faisons,

des yeux doux que nous sommes, de la drôle de bouille qui est la nôtre,

de la langue que nous sommes, de l’enflure que nous sommes,

des doutes et de la mauvaise conscience qui lui fait cortège.

 

Toutes les gênes concourent. Bien sûr, ça rase les murs,

Ça n’en finit pas d’aller se rhabiller...

 

Moi, je m’abstiens de n’être pas gêné, non pas « aux entournures » : gêné à la façon des animaux quand ils s’effacent. Moyennant quoi je prie qu’on m’excuse : « je ne fais que passer ! »

 

 

 

 

Vers la néologie de la morale

 

 

Dans la prison dorée de la langue,

La fluette désuète, cris brodés et bris collés à la

Va-comme-je-te-pousse, se résout à n’être qu’un va-tout,

« On ne sait jamais » passant le témoin à « jamais ne saurai »,

Quand bien même l’intention ne serait pas perdue, mais

Toucher du bout des doigts le je-ne-sais-quoi qu’on

Voulait percer à jour, ça, on ne le peut pas.

 

C’est énorme, la langue. Avec son poids volumétrique

Le poème ne laisse aucun doute : il s’agit de plumes !

 

Tous masques épointés et polysémie en trompe-l’œil,

L’échange ne sera que fort peu sa mince affaire.

Les bouteilles à la mer elles-mêmes répugneraient

Au face-à-face avec si petite énormité. Ainsi

En ira-t-il de ce qui tient encore à la fibre,

Tête de pioche ou pet de lapin,

Pour toute synchronie.

 

 

 

 

La plus belle de tout l’quartier

 

    Tout te convie à gravir : le premier sentier escarpé venu, l'Everest, le poirier de la maraude, l’ascenseur social, la transcendance, la tour Eiffel... dépasser d’une tête ou deux la cantonade pour s’élever – l’hallucination n’est jamais trop belle. Sans parler du point de vue : plus tu es haut perché plus l’opinion porte loin, prend du poids, confère de l’autorité, assure. Que la tête dans les étoiles s’ensuive si tu es enclin à la rêverie ! Gare, pourtant, aux cumulonimbus gloutons qui des naines blanches font une chère de roi !  

    Un jour, tu n’y seras plus mais, ton assiduité ayant fruité, il se pourra qu’un effet résonant te prolonge. Par contre, avant d’en arriver là, possible aussi que tu n’y sois plus tout en y étant toujours. Il n’est pas donné à tout le monde de signaler sur quelle rive de l’Achéron il se trouve. Dans le grand vestibule de la vie, c’est loi que ce que, par pudeur, nous nous retenons d’appeler « pas gagné » finisse par faire défaut. Les pas perdus, pas perdus pour tout le monde, nous engagent à un autre va-tout.

 

 

 

 

Jackpot the ripper

 

 

     J’ouvre la porte des toilettes : rien. Je ferme la porte du purgatoire : paradis. J’entrouvre la porte du raz-de-marée : putain ! J’ouvre la porte de l’enfer : paradis. Je ferme la porte du rien : merde ! Je referme la porte de l’enfer : in extremis. J’ouvre la porte du clapier : cabine téléphonique. Je ferme la porte du placard : Ornette Coleman. Je toque à la porte des toilettes : toc, toc, toc... J’ouvre la porte du paradis : rien. Je ferme la porte du paradis : rien de plus. Je rouvre la porte fermée : ouverte. J’ouvre la porte du placard : paradis. Je ferme la porte de la cabine téléphonique : merde ! Je claque la porte du paradis : raz-de marée. J’ouvre la porte de la cabine téléphonique : oublié !... Je ferme la porte du clapier : enfer. Je referme la porte du paradis : Lester Young. J’ouvre la porte de Lester Young : Ornette Coleman. Je ferme la porte d’Ornette Coleman : rien. Je change la porte du raz-de-marée : rien. Je ferme la porte du raz-de marée : quoi d’autre ? J’ouvre la porte du rien : enfer. Je condamne la porte des toilettes : merde. Je rouvre la porte du rez-de-chaussée : toilettes. Je ferme la porte des toilettes : purgatoire. J’ouvre la porte du purgatoire : rien. J’entrebâille la porte du purgatoire : raz-de-marée. Je ferme la porte du rez-de-chaussée : eurêka ! J’enfonce la porte ouverte : bingo !

 

 

 

 

S’élancent-ils dans la nuit parmi les chiroptères pour mieux

Pénétrer ces secrets que les éclairages ordinaires couvrent

De leurs brouillards ? C’est leur défiance à l’égard de

La transparence opaque que leur faisait la lumière qui a incité

Le trafic des luminaires à obstruer l’entrée de leur grotte.

 

J’en appelle à ma table de travail où le fil d’Ariane se rompt,

Où l’esprit devient la pièce à conviction égaillée.

L’oubli de la langue des souvenirs, fatal, tombe sous un sens

Qui n’est pas le mien, perd au change, referme le caveau.

Car se souvenir est chose difficile ! Les morts n’ont rien dit,

 

Être mort n’était pas une excuse, et les vivants n’ont rien dit.

Ni les morts ne sont morts en paix ni les vivants ne vivent en

Paix. Les uns chantent à tue-tête, les autres déchantent à fendre

L’âme. Mais la paix ne se fait désirable qu’à l’heure du coucher.

Les morts ne sont pas heureux, les vivants ne sont pas heureux.

 

Ils ne se réconcilient pas. Leur manque-à-être n’a pas trouvé

À qui parler ni leur chaumine chemin d’accès à son chevet.

Le petit sourire de ceux qui ouvrent une fenêtre n’empiète pas

Sur le désintérêt de savoir qui du sourire, qui de la fenêtre est

Premier. L’oblitération du bonheur n’est pas à l’ordre du jour.

 

 

 

 

Je ne suis pas votre faire-valoir à plate couture

 

 

Pourquoi me faites-vous passer par cette gouttière ?

Il n’y a donc pas de portes chez vous ?

Pourquoi n’y a-t-il pas de portes dans ce bled ?

Non, ça n’ira pas, je ne suis pas un chat !

Rien que ce monsieur, là, debout dos au vide

Ça me haricote. Ne me tenez pas par la manche !...

 

Je suis d’un âge où pour combiner les contraires

On mettait des portes. Ouvrir, entrer, fermer, sortir

Constituaient le mouvement de balancier. Vous,

Vous mettez de la gouttière avec du vide

Autour pour apporter la preuve que le format

Ne résulte pas d’un quelconque chéneau manquant

 

Cette comédie de garage, jouez-la sans moi

Ne m’y dégotez pas de rôle, je ferais faux bond

En escogriffe, je viens d’un temps où l’on confiait

Aux voies les signes mnésiques exsudés

Des vantaux. Là, je rentre chez moi

Je ne passerai jamais par aucun chas d’aiguille.

 

 

 

 

Tout chant chancelle

 

 

     Tout chant chancelle. L’insomnie file l’utopie, le rêve veille au grain, le grand dessein auquel ils tendent aux heures indues décline des croquis propitiatoires. Une ombre fuyante essaime ses tors crissements de filigrane dans un ciel clair, un tableau peut-être. Les rêves ne font pas trêve, prêtent un statisme haletant aux pieds de grues.

 

     Tout chant chancelle. Dans aucun pays l’eau n’a le même goût, le paysage le même horizon, l’air la même transparence, la cuisine les mêmes papilles gustatives, l’art les mêmes canons, les voix des femmes le même grain ni leurs regards les mêmes yeux. La même absence de liberté, la même histoire, le même sol, et puis... Les démons ne sont jamais exclusifs les uns des autres.

 

     Tout chant chancelle. La rivière qui sépare les démons de la crédulité et de l’incrédulité n’a qu’un pont, les 36 chandelles que dispensent les démons de la santé et de la maladie éclairent à part égale, les démons de la poésie et de la métaphysique font des flaflas de part et d’autre du bel abîme philosophal, ceux du bien et du mal inspirent Nietzsche, ceux du vice et de la vertu Sade.

 

     Nous, farfadets des pierres de lumière qui rapportons nos rêves les plus périlleux au simple appareil d’un lit moite, sommes venus dans un monde occupé des monstres. Du point de vue du mouchoir, tous fil à la patte et fil d’Ariane tissent un QR Code en tous points identique, suffisant à la mouchure. Ce qui est celé ne mérite aucun sceau !

 

     Tout chant chancelle. De la sentine au marigot, l’illusion d’abord rutile puis perd sa voie royale avant que de s’effacer devant la gueule du loup. La gueule du loup fait la différence : muflier n’est pas néflier ! Au déclin du jour, quand le tapis du ring se couvre d’un suint aigre, victoires et défaites conjurent leur dieu de jeter l’éponge. Toucher au but, avait-ce donc été ça le but ?  

 

 

 

 

Lâcher le morceau

 

Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris

 

Charles Baudelaire

 

     On n’écrit pas pour être aimé ; en dépit de ses avances l’écriture n’attend rien de l’amour ni l’amour quoi que ce soit de l’écriture, on écrit en situation de handicap, dans une langue qui ne s’y prête pas, pour tâcher de lâcher le morceau comme — je m’excuse — on lâcherait Médor.

 

     C’est pourquoi, ne pouvant dire avec exactitude ce que sont l’amour, la vie et tant d’autres choses, il est toujours si navrant d’entendre déplorer qu’il faille la mort de celui qui écrit pour saisir ce qu’il en fut, comme si, tel le bifteck, ce qu’il a cuisiné n’était pas tout à la fois bleu, saignant, rosé, bien cuit et à point.


     Et qui, de l’écriture, hormis la mère de la fille de Mme Angot qui n’ignore rien des ressorts de l’humour, peut clarifier ce qu’il n’a pas dit ? L’écriture, comme l’amour, erre, tâtonne, se heurte, tend à éclore et, quoiqu’il n’en paraisse rien, elle non plus n’a jamais, jamais connu de loi.


     La loi, la seule, c’est de faire bifteck sur le grill, le mort. Pour le trip, beau gymnote dont la frêle écriture est une proie de choix, je te vois encore prescrire la tempête dans un verre d’eau ou une goutte d’eau dans l’océan pour nous inonder. Agrippée aux os de la folie, c’est le mort qui sauve l’hallali de la noyade.



 

 

Grand rapiéçage d’être

 

 

     D’abord le champ visuel s’est enclos à mesure qu’avec les verres progressifs mes yeux se sont mis à reconsidérer le monde plus distinctement. Il en a résulté que j’ai pris peu à peu l’habitude de me baisser pour éviter de me prendre la tête dans les branches. Qu’on ne croie pourtant pas que c’est à cause de cela que mon dos s’est mis à se voûter, non, même si l’habitude de marcher à petits pas en scrutant les chausse-trappes du trottoir s’est ensuivie.

 

     C’est surtout avec le concours présumé de l’arthrose cervicale que l’échine a entamé la déclinaison au long cours dont s’autorisent les croulants pour faire ostentation de cette chose dégoûtante entre toutes qui consiste à être ce qu’on est. C’est ainsi qu’au moindre pivotement de tête les vertiges se sont mis à sévir, ajoutant à la contemplation de mes grolles la nécessité de me tenir aux dites branches. Dès lors, envisager de ne plus faire qu’un avec soi-même...

 

     J’ai eu 20 ans, et je les ai perdus. J’ai eu 30 ans et je les ai perdus. J’ai eu 40 ans et je les ai perdus. J’ai eu 50 ans et je les ai perdus. J’ai eu 60 ans et je les ai perdus... J’en ai perdu des propriétés ! La matière grise, tiens ! l’ambre gris donné à l’homme fin. Pour ne rien dire des connaissances qui vont avec et qui nécessitent comme les cheveux ou les dispositions à la langue d’être brossées et shampooinées pour être douces et soyeuses... On perd au change, c’est certain !

 

 

 

 

Ce que cache la cuculle

 

 

     C’est parce que l’habit ne fait pas le moine que j’ai prié tout à l’heure un capucin, Frère J. pour ne pas le nommer, de bien vouloir lever le malentendu en ôtant sa cuculle et en me montrant la chose intrigante susceptible d’authentifier le moine une fois enlevé l’habit qui, dit-on, ne le fait pas. Je sais, il y a la zigounette, ça peut être gênant, mais la zigounette est chose suffisamment attendue pour que quiconque pourvu d’un peu de plomb dans la cervelle n’en retire de mécréante intention. Allons, allons !...

 

     Toutefois, ne doutant pas qu’à brûle-pourpoint une telle requête avait de quoi déconcerter, voire choquer, je m’empressai de lui donner des gages : il s’agissait pour moi de témoigner en tout bien tout honneur de la forêt soupçonnée une fois écartée l’interposition de l’arbre. Frère J., sous ta cuculle quelle plage, quelle forêt, quelle clairière enfin ? Ce n’est pas vous qui allez me dire que ça ne vous intéresse pas. Depuis le temps qu’on se traîne cette fatalité.

 

     La vérité n’est jamais la chose prosaïque à laquelle nous serions tentés de nous attendre, pour être vraie, la vraie vérité au nom de laquelle, croix de bois croix de fer, nous sommes si attachés, doit être et surprenante et évidente : ce qu’on appelle une révélation (la vérité ne tombe sous le sens qu’après être sautée aux yeux !). Une fois la cuculle chue à ses pieds, miracle du signifié passé au signifiant, je lus en caractères gothiques sur la révérende nudité de ce bas ventre capucin : À Marie pour la vie.

 

 

 

 

S’il s’avère possible de prêter deux réalités 

à un même objet c’est que cet objet n’est pas.

 

 

     En empruntant la rue du Calvaire à Rubrouck, Rubrouck commune flamande qui se fait le 14 juillet mongol comme on se ferait la malle aux petits oignons, je songeai à la France — ce n’était pas la première fois — après avoir bu Chez Patricia ma première Pelforth après trois ou quatre ans de sobriété.

 

     La France... son être et ses avoirs, ou les moitiés pleine et vide de sa dive bouteille, ou l’indécidable antériorité de l’œuf et de la poule, ou cette certaine idée qui est au phlegmon ce que l’enfant Jésus est au cougnou, ou la pauvreté qui ne doit prêter  qu’aux riches et les œufs d’or pour régler l’État d’ébriété.

 

     Être plein aux as convie aux cent raisons de se mirer dans les yeux d’une marâtre prodigue, mais ne l’être point ? L’être, l’arbre à l’être, c’est d’un tronc peu commun ! Quelle mère poufiasse s’est jamais targuée d’être une patrie ? Faut-il ne pas répugner à manger de ce pain-là pour demeurer son enfant !

 

 

 

 

Sommeil levant

 

 

Face à moi, l’écran, ce que je suis en train d’écrire, toute raison entendue sous son angle éclairant. L’instance d’une issue à son ouvrage de validation veille au grain. L’écriture ne saurait tendre quelque filet de sens que ce soit en dépit de cette instance. Sans issue, nulle raison, et vice versa.

 

(La cause projette la conséquence, flèche et cible la convoitent.)

 

Pourtant, il ne tient pas qu’à la psychanalyse de dire que cette instance n’est pas face à mais derrière, très loin derrière, machinique à la Wells pour explorer le temps où Morlocks, Argonautes et Homo Sapiens continuent de faire refuge.

 

(La conséquence projetée, flèche et cible se la partagent.)

 

Mettre de l’Homo Sapiens devant soi, tiens ! lui serrer la pince, le presser de choses qu’évidemment il ne comprendra pas, soit ce à quoi je m’emploie, ô sapience ! Voilà ce que j’appelle avoir du flair. L’issue est rare où se démarque le pas.

 

 

 

 

Ma souricière bien-aimée

 

 

     Empêtrés dans des vêtements qui ne vêtent pas, dans des tentations prises pour des tentatives, dans une langue chewing-gumisée, en compagnie de pisse-froid hilares et de boit-sans-soif sevrés. Nous y sommes, nous y voilà : dedans, dans ces tas de passe-droits pour fins de mois ratifiés à l’encre sympathique.

 

     Nous nous démenons comme nous pouvons avec le congé au gîte, le congé au couvert, le congé au ciel, le congé à l’écriture. Les soudoyés vendent le dernier mot que les victimes n’ont pas dit. Aux cours du soir du zapping où nous décrucifions nos diables, nous leur ouvrons nos escarcelles.

 

     Nous n’en pouvons plus, nous en voulons encore. Bien sûr, personne n’attend de ne pas se réveiller, pourtant, il y a de ça. Notre cul entre deux chaises musicales, qui d’entre nous se le retrouvera par terre au prochain tour ? Ce n’est pas louable mais c’est loi que cela n’arrive pas qu’aux autres.

 

     Notre patience va continuer à paraître infinie. N’aimons-nous pas faire durer ce qui nous pend au nez et qui ressemble à s’y méprendre au désir ? Entre ne pas renoncer et ne pas s’illusionner tout embarras du choix se leurre.

 

 

 

 

La Cibiche

 

 

     Cette Cibiche est un froid souvenir depuis longtemps déjà. La Seita vaporisait la ville alors. Comme l’alpiniste s’en va par l’avalanche ou le plongeur avec le dernier tourbillon, c’est en fumeuse volupté qu’un beau jour la Cibiche nous laissa en plan. Tant de cendriers pour des clopinettes ! Et pourtant, dire que nous nous y adonnâmes est peu dire.

 

     Prendre un verre avec un ami sans que cela n’impliquât d’en griller une n’était guère concevable ; aucun attablement n’eût été digne de ce nom sans que la Cibiche n’en fût l’adjuvant. Ne disait-on pas qu’au saut du lit c’était la meilleure de la journée ? Et le soir, avec la petite dernière, que le temps de lire encore une ou deux pages était souverain.

 

     Quel concert de rock aurait eu le front de la décréter intruse ? Lee Brilleaux vapotant ou Barry Masters fleurant la clope à l’eucalyptus, cela eût confiné à l’absurdité. Si nous souscrivîmes ad nauseam à cette mythologie enchantée, c’est en vertu de soirées qui s’annonçaient aussi longues que la vie ne serait pas interminable.

 

     Que le paquet se révélât vide, d’un coup de moto d’un seul, hop ! quelle que fût l’heure, droit au Versailles ; les buralistes étaient les gardiens d’un temple d’âcres volutes dont la Cibiche était tout à la fois houlette, goupillon et grigri. C’est pourquoi aujourd’hui encore des poèmes lui sont redevables des illuminations qu’elle leur insuffla.

 

 

 

 

Doux nœud que nous deux

 

 

Je n’étais que la moitié de moi-même, alors, la musique occupait l’appel d’air.

Le gargarisme révolutionnaire pour ne pas s’écorcher la bouche,

l’ignorance pout toute besace, la Gauldo quand même.

Des grosses bottes et des trous comme mon poing à mes chaussettes.

Pas de petits sous, sous le sabot de Pégase, cela allait de soi.

— Et cette putain de Mobylette qui ne démarre pas !

 

Un temps où la curiosité poussait à la roue.

Si nous sommes deux, c’est parce que nous ne nous suffisions pas

d’être la moitié de ce que l’on est.

Il faut deux pour faire un, deux yeux, deux bras, deux jambes.

 

Deux ventricules pour faire un cœur.

— Il faut être deux pour faire corps.

 

 

 

 

Le Sens de la vie

 

 

     C’est le suc qui coule d’un déclic marqué d’une pierre blanche comme un premier baiser à l’orée de la vie. C’est quelque chose dont on dira que ça avait du sens ou que c’était du sens, même que ça a encore du sens et que ça ne se supportera jamais d’aucun pari pascalien. Fatche de con, le sens c’est le sens !

 

     C’est aussi impalpable et c’est pas plus compliqué que ça puisque justement la vie c’est l’insignifiant quelque chose que l’on fait d’elle sans trop savoir, ce frémissement générique qui ne tient qu’à un fil pas plus épais qu’un cheveu. Au regard de la vie encombrée de sens moraux et immoraux, c’est rien !

 

     Rien... Bien peu vous diront que rien c’est quelque chose, que si rien n’a jamais engagé à ne rien faire c’est parce qu’il ne dépend que de lui que notre big bang accouche d’un univers. C’est comme avec « jamais » qui veut dire « toujours » et non pas « ne jamais » qu’il faut entendre « ne toujours ».

 

     Les enfants qui sur votre pierre tombale vont faire graver « À notre très cher pour son sens du sens » vous ont-ils dit : « aujourd’hui on n’a rien mangé à la cantine » ou « on n’a rien fait en classe » ? Vous les avez écoutés sur vos deux oreilles, ce qui n’est pas rien n’est rien, mais le sens, lui, quel ready-made !

 

 

 

 

Le bon débarras

 

 

     Les règles sont relatives, les exceptions absolues, et les exceptions ce n’est pas ce qui manque. Il n’est pas si estimable d’avoir fait beaucoup de choses. Tout un chacun a fait beaucoup de choses, à commencer par tous ces cœurs que de seconde en seconde on s’emploie à faire battre. Et puis ce que nous défaisons n’est pas moins honorable. Les lacets de nos chaussures au bord de la mer, les nœuds coulants de nos défaites, les illusions clefs en main, le couvert après le repas, le temps que les bracelets électroniques scellent aux poignets, les bonnes pensées du soir que le sommeil emporte et ne rend pas.

 

     Pour aujourd’hui, je suspens l’écriture. Il y a trop de groseilles, de framboises, de cassis à cueillir au jardin résolument invitant avec ses airs de sous-bois miniature. Ce serait un péché que de s’y soustraire. De toute façon, il faudra bien qu’un jour il n’y ait plus le feu, je veux dire l’écriture, le dessin ; les gens qui écrivent ou dessinent ne manquent pas, et je tiens à ce que le jardin garde un bon souvenir de moi. Parfois, je me dis que si une catastrophe emporte la terre, les deux îlots qui demeureront seront, là-bas en Sibérie et en Mongolie, Altaï encaissé dans ses monts, et ici notre jardin blotti dans son feuillage.

 

 

 

 

Il faut se souvenir aussi de celui qui oublie où mène le chemin.

Héraclite d’Éphèse

 

Chemins (...) que l’on dirait avec art de leur but détournés...

Rainer Maria Rilke

 

Il n’y a pas de poème heureux ! Toute voix est ontologiquement nouée

À un grattage générique. Celui qui parle s’expose à l’exhibition du sien,

Ce qui lui vaut d’être regardé de travers, moqué, rayé de la liste, ostracisé :

Grattage qui ratatouille, grattage logique, ratafia générique, ratafiente !

 

Montrer son poème, c’est, ou montrer patte blanche ou montrer son cul.

En tant que grattage, le grattage peut faire un effet bœuf, un hit, un tube,

A contrario, il n’est pas rare qu’un tube réussi ne soit qu’un bouton de fièvre.

Mon grattage il est à moi et rien qu’à moi, on n’touche pas à mon grattage !

 

L’écueil est une écuelle, gratter son bon dos n’est pas donné à tout le monde,

Il n’est pas de dictame qui n’en fasse sa terre d’accueil, son p’tit lopin,

Sa permission. De ma hune, dévisageant l’horizon, je m’écrie « crotte alors ! »

 

Ma rature c’est ma littéralité perso, ma friture donnée pour l’œuf d’Aristote

Ou mon blé pour du beurre. Il faut avoir un but dans sa vie, disait le gardien,

Il faut gratter pour poursuivre, pour continuer à exister, répondait l’écho.

 

 

 

 J’ai connu et aimé le temps de l’homéopathie. Il y avait, en ce temps-là, Bob Dylan et les Rolling Stones, le new age et des babas cools, la culture bio et la psychanalyse, des potes à tout-va, des bécanes en veux-tu en voilà, etc., mais c’est fini, sur le versant occidental de la conscience, l’épochè n’a duré que ce que durent, le temps de refleurir, les lilas blancs, et la notion de médecine douce, de douceur même, la mode s’étiolant, a fini par être bannie.

 

     L’homéopathie, comme les églises, on n’avait pourtant pas été tenu d’y croire pour que ce fût là ; hormis auprès des braves gens qui n’aiment pas qu’on suive une autre route qu’eux, elle faisait partie des alternatives sans se faire remarquer. Moi-même je ne me suis jamais demandé s’il me fallait y croire pour y avoir recours. Ce temps de l’homéopathie n’incombait pas qu’aux seuls granules mais à une sorte d’homéopathisation du possible. Il ne lui suffisait que de l’air du temps.

 

     Or l’insidieux possible était déjà allopathique — et cybernétique à l’avenant. L’impossible lui aussi réclama sa part de possibilité. Si le désordre des choses qui poignait n’avait pas tout bousculé, les gens auraient pu s’accaparer les morceaux, en faire une fois de plus l’histoire qu’ils se sentaient aptes à transformer à force d’obstination et de patience. Et alors ? L’histoire n’ayant pas totalement dilapidé ses ressources et résolu ses convergences, il est trop tôt pour estimer qu’il est bien tard...

 

 

 

 

Ma table

 

     Ma table est le pire des garde-fous. C’est pourtant à elle que je me tiens, tant le vide, sous elle, se diffuse à vue d'œil. Les mots n’y disent jamais si leur sombre traversée tend à l’oasis ou à la clairière, ils ne rechignent à rien, sauf à la syntaxe réparatrice, ils ne tiennent pas ensemble, ils tombent comme des mouches. Charroi bas de gamme. Ou alors c’est qu’ils sont comme nous, qu’ils sont nos mots, nos bien grands mots.


Ma table partage avec l’illustre Studio 54, à New-York, il y a bien longtemps, mais plus durablement que lui, d’avoir vu et entendu passer, onde consonante courant l’épiderme, une mirifique compagnie d’artistes aimés. Ma table ne confond pas la bouteille à la mer et le chant du cygne qui se jette à l’eau, elle se tient fébrilement à l’émulsion qui accorde le feu de Saint-Elme avec la trompe tibétaine. Nous ne sommes pas quittes avec le pire...

 

     Et c’est ainsi que, chevauchant le creux de la vague, je campe un spirite qui ne déplore pas que l’esprit ne soit pas las. Ma table, ma veilleuse, ombre consolante et vertige sur le zénithal orgueil, ne demande jamais « de quoi je me mêle ? », elle ne se souvient pas des hommes qui oublient que les souvenirs sont aux mouchoirs ce que les nœuds sont à son bois, mais souvent, la nuit venue, elle s’afflige.

 

 

 

 

Ma Chaise

 

 

     À en juger par sa housse verte élimée jusqu’à la trame, comme s’il lui fallait maintenant faire état d’une existence attablée, on est tenté de se demander si sa contribution à l’homme debout n’a pas pris fin. Il semblait pourtant qu’avec cette mine de rien que faisait la langue à son titulaire, la vie dans les plis pouvait encore prétendre à de beaux jours.

 

     Rappelez-vous, le monde était une pente savonneuse, si vous parveniez à la gravir c’est que, dans ce sens, elle était déterminée par une cime, si au contraire vous la descendiez cela validait la thèse du savon, comme si le savon de la pente savonneuse avait pu dédouaner nos salades ! Pourtant, se souvient-on si facilement que les bulles de savon ce sont nos rêves ? 

 

     C’est parce qu’il est noir que le monde est un savon : le savon du savoir grâce auquel, au lavoir du manoir, mon linge peut être encore plus noir que le noir. La langue n’était ni du saponé ni du javanais mais de la spontanéité, de l’enthousiasme, de la musique, de l’amour. Alors le savon s’est fait monde, un monde apprêté à l’éponge jetable avec l’eau du bain.

 

     Que celui qui porte la responsabilité que sa chaise-monde n’ait pas été musicale jette sa dernière dent. Pour moi, c’est pour n’être jamais clarinettiste que je me suis mis à la clarinette. À l’instar des orpailleurs qui cherchent l’or d’un temps perdu, le rempailleur bourre de paille la prescience d’un lendemain qui n’a d’yeux que pour sa poutre.

 

 

 

 

La Néologie de la morale

 

Si le canard crie, c’est signe de pluie.

 

Proverbe

 

Je leur ai concédé que je n’ai jamais été artiste mais que j’ai toujours

Cru que je l’étais. Remarquez, ils ne m’ont pas convoqué pour m’en

Faire le reproche, seulement, ayant fini par me repérer, pour me

Proposer le stage de reconversion établi à l’intention de la grande

 

Fratrie des désœuvrés : retraités, bipolaires, chômeurs, demandeurs

D’asile, crève-la-soif, etc., afin de les faire crier. C’est un fait que

De nos jours on doit souvent crier. Oui mais, que crier ? « Ouille,

Ouille, ouille ! », en venant de se coincer les doigts dans la porte ?

 

« Grâce », à bout d’interrogatoire ? « Victoire », à la fin d’un match ?

Il y a tant de choses à crier... « Ce que tu as envie, qu’ils m’ont dit.

On crie tous ensemble et à 18 h chacun rentre chez soi ». « O.K.,

Que je leur ai dit, crier c’est mieux que de rester là les bras croisés,

 

À condition toutefois que ce soit moins fort que les autres, car je

N’ai plus de voix : crier, oui, mais à voix basse ». « Aucun problème,

Tu dégoises comme tu l’entends ! » (N’entendant pas ses cris, ils ne

Sauront pas que l’auteur de ces lignes ne dégoise pas : il regoise !)

 

 

 

 

Vitesse

 

 

Tout poème dit ce qui le dépasse, infiniment certes

Mais aussi, aux abords, la petite abstention qui le vêt

D’indifférence. Ce qui l’excède c’est ce qu’il recèle.

Tout poème dit la différence sans laquelle il serait

Une pierre, et qu’il fait sienne afin de se parer contre

La bise ordinaire. Le poème ne fait pas la pierre,

C’est une pierre ! Extraordinaire, avec une échine

Sur laquelle il rapporte le monde des infrapensées

Qu’il va patiemment pétrir pour en faire un milieu.

 

Tout poème dit, dans le chétif langage qui est le sien,

L’espace des gestes amoureux, la vérité sur le désir,

L’insu — son ciel —, les bêtes, le temps, l’odeur

Du café qui passe, l’intolérable solitude prise de

Vitesse, de divagation peut-être. Il serait très tentant

De dire de lui, témoignant de ce à quoi il ne se réduit

Pas, qu’il ne suffit pas, qu’il est insatisfaisant...

Laissant la distraction finale à ses basses convictions,

Tout poème n’arrête jamais de répéter l’autre chose.

 

 

 

 

Le Transuranien attaque

 

 

Cirrhose du transalpin, Rose du transcaucasien...

Titres possibles pour le poème auquel

Je souscrirai quand j’aurai rabattu le caquet

Du dermatophyte tout à son envahissante

Propension à l’ongle. Pendant que j’y suis

Je pourrais en profiter pour m’enlever les

Gros orteils, et même les autres. Il y a tant

De choses dont on devrait se défaire et

Dont on ne se défait pas alors qu’à l’ombre

Est concédé le droit indu du précipice.

 

Sabine raide comme un passe-lacet et Léa

Souriant aux anges dansent ensemble, c’est

La fête. Comment ne pas remarquer que la

Syllabe est au vers ce que le pied est au fox-

Trot ? Sans pied ou sans syllabe, macache ! 

J’eus pourtant l’ongle de pied marin. Ne

Pas confondre ce qui ne veut rien dire

Mais qu’on entend et ce qui veut dire

Mais qu’on n’écoute pas, à moins que,

Lamproie comme anguille au vert,

L’exercice de la couillonnade ne fasse

Appel à mon sabiro-volapunk rock.

 


 


Chez les Agosils (décembre 2018)


 

 

Mon gilet jaune

 

à Fiorina

 

Mon gilet jaune ne prise guère le col blanc, mon gilet

Jaune, ça tombe sous le sens et ça tombe bien, est

Jaune. N’est pas gilet jaune, jaune qui veut ! Mon

Gilet jaune est rouge quand il chante L’Internationale,

 

Rouge du sang des gilets jaunes ! Bleu également,

Bleu comme l’orange de Paul Éluard par l’adjonction

Du cobalt sur mon cahier d’écolier. Tout caca d’oie

Qu’il soit en outre, mon gilet ne doit rien à personne

 

Et n’est pas à vendre. Jaune sur fond jaune, ainsi va

L’actualité de mon gilet jaune par la lutte des classes

Advenu. Ne jamais faire d’omelettes sans se mouiller

Le gilet ! Le jaune de la lutte des classes est partout !

 

Vieux comme le monde, mon gilet jaune est resté

Vert, vert et pistache comme à vingt ans : mon gilet

Jaune est jeune, pas de ces jeunes au sang de navet

Ni de ces jaunes en peau de lapin : intraitable et fier !

 

 

 

 

Plomb dans l’aile pour l’immarcescible désir de justice

 

 

La beauté du geste, le chant des communards et la France,

Du nom du plus grand des EHPAD qui se puisse trouver.

Dès 17 h chacun est convié à se bousculer au portillon

Avec sa chaise roulante. Oui, on va manger sa soupe,

 

Mais pas tout de suite, d’abord on s’assied. Mr Gérard va

Allumer la TV, l’autoroute y sera saturée et la campagne

Normande. Oui, comme d’hab’ : J’irai revoir ma Normandie

C’est le pays qui... qui... qui... qui... qui... Ce n’est pas grave,

 

Ça bouchonne sur le câble mais le technicien va voir ça.

On connait l’air, n’est-ce pas ! Le pays qui m’a donné ?...

Oui, le jour ! Avant de reprendre ça en chœur avec Léonie

Et Zoé on va s’essuyer la bouche, parce que la France va

 

Bientôt passer... À quoi elle va bientôt passer la France ?

Non, non, non, Jean-Luc, pas à l’acte ! Elle va passer aux...

Aux toilettes, c’est ça ! La pastille Républicaine prévient

Contre tout va-tout, et contre la constipation. Bravo !





L’Imaginal au pouvoir !

 

 

Les mots à la pointe de mon fleuret, je suis

Le poème masqué, si précieux pour soudoyer

Les plis du miroir où toute âme qui prête

Ses yeux aux mirages, renverse leur ordre.

 

Tout chargé de beaux sentiments, me voilà,

Ou plutôt me revoilà, frappant d’estoc dans

La bedaine de l’inspiration ou, zouinnggg ! d’un

Coup de taille dans le minois de l’imagination.

 

Alors, si je suis Mr Hyde ou le comte Dracula,

Ou Jonathan Harker, ou le comte Zaroff,

Ou Victor Frankenstein, ou Peter Cushing,

C’est que je ne suis pas celui que tu crois.

 

La biologie arpente le plus profond du vivant

La physique le plus élémentaire de la matière,

Mais c’est moi qui, masqué, plus intimement

Que toute psychologie, fond sur tes abysses.

 

Et ça continue : Dorian Gray, Éros, Charlotte Corday,

Benoît-Joseph Labre, Villon, Screaming Jay Hawkins,

Brahmā, Rachilde, Rocky Volcano, Peter Lorre

Barbara Stanwyck, Gegene, Germain Nouveau, etc.

 

 

 

 

L’Étambot

 

 

Avant d’être le métier, et Dieu sait que le métier

C’est le métier, L’Étambot est le titre du poème où

Il est question des Peigne-culs et des Gratte-culs

Qu’à mon avis vous ne pouvez pas ne pas connaître.

Le chef charismatique des Peigne-culs c’est celui

Qui a dit qu’il fallait sortir du faux dilemme fond-

Forme, précisant que le fond c’est la forme dans les

Abysses en allée (le gros malin !) afin d’apprendre

À faire n’importe comment le n’importe quoi qui

Jusque-là se faisait au pif. N’ayant aucun pédagogue

Disponible pour assurer cet apprentissage, il engagea

De preux Pieds Noirs et, boutés hors de Hollande,

Des Sans-Dents qui n’eurent plus les crocs très

Longtemps. À n’en pas douter, une déclaration de

Guerre. Soupçonneux, les Gratte-Culs achetèrent

Aux Grecs l’Arsinoé qui leur restait et l’enchaînèrent

Nue sur l’étambot éponyme à des fins de tractations.

« Aïe, aïe ! Ça me démange, par pitié, grattez-moi ! »

La suite, vous la connaissez, l’eunuque Ganymède

Libère Arsinoé, la forme que devait prendre l’affaire

Tombe à l’eau avant que de rebondir et devenir

Le fond abyssal posé en préambule. Les uns disent

À la façon de Magritte que ceci n’est pas un poème,

Les autres disent que s’ils disent que c’est un poème

C’est un poème. Et vous qui êtes dans le commerce

Ne pensez-vous pas qu’il est temps de dire aïe, aïe ?

 

 

 

 

Attraction terrestre vs loi de la pesanteur

 

 

On l’appelait Ciel parce qu’il était infiniment là-haut

Et qu’étant immatériel il était théoriquement pur.

Seuls les oiseaux et les anges avaient l’autorisation

De s’y frotter sans nul risque de piquer du nez.

 

Personne n’avait jamais dit l’abîme qui séparait

Le ciel et l’essieu, or le ciel était par-dessus et

L’essieu par-dessous où, de liaisons dangereuses,

Émanait parfois un adultérin « Ciel, mon mari ! »

 

Au temps qui inexorablement s’écoule, toujours

La supplique adresse ce recours : « Sois cool,

Accorde-moi une prolongation pour clore en

Beauté ma tendre cueillette de roses de la vie !

 

Pas plus tard qu’hier, Ronsard me l’a redit :

Ce n’est pas parce que tu as soixante-dix-sept ans

Et que tu vas bientôt gagner l’infiniment là-haut

Que, leste encore, tu ne peux t’envoyer en l’air ! »

 

 

 

 

Le Terrien, s’est fait à l’idée d’être moins seul qu’il ne lui

Semblait, qu’il y avait amplement place dans l’univers

Pour receler d’autres formes de vie, sous-entendu, d’autres

Dissemblances, son besoin de chercher noise étant infini.

 

Et sinon d’autres formes de vie du moins d’autres hypothèses,

Celle d’une instance transcendante n’étant pas la moindre.

Après tout, l’intuition de l’au-delà ne date pas de la rencontre

De l’homo sapiens et de l’homo neanderthalensis, pas de


Celle de Christoph Colomb et des Taïnos, sans parler de

La nôtre avec les virus que le dégel du pergélisol ressuscite.

Moi, je crois que la Terre est unique, que sa solitude, et partant

Celle de l’homme, au sein de l’univers est irremplaçable.


J’y crois parce l’homme, être de croyance, a besoin de croire

Et que je suis un homme, mais j’ignore pourquoi. L’Agosil,

Lui, c’est pour n’être pas l’homme du grand plongeon qu’il tire

Des failles de ses croyances les vers du nez dont le ciel abonde. 

 




Ecce mortuus est


“We were — waist deep in the Big Muddy

And the big fool said to push on”

                            Pete Seeger ~ Waist deep in the Big Muddy


Homme, Homme with a big H, souverain et blanc comme

Neige, toujours tu chéris l’amère thune ! Le fric était ton miroir,

Tu entendais ton âme dans le tintement infini des ducats de ta

Chère cassette, mais c’est plié, peste et choléra t’ont emporté.

 

L’avez-vous rencontré ? L’avez-vous connu ? Entendu parler ?

Oui et non, dites-vous ? Par quelle bouche cet être essentialisé

Pouvait-il bien parler ? Celle de Dieu ou celle des hommes ?

Mais Dieu ne dit rien. Quant aux hommes, ce qu’ils parlent gît

 

Tout là-bas, inarticulé à jamais dans les ruines de la tour de

Babel. Homme des droits inféconds et des empires, avec, sur

Ton T-shirt ce big H gros comme une dent creuse, tu n’es plus,

Tu es mort tétanisé, mort pour avoir eu peur de ton nombre.

 

 

 

 

C’est dimanche

 

 

Ce n’est pas parce que je ne me dis pas poète

Que je ne puis l’être le dimanche. Poète du

Dimanche c’est bien aussi, c’est autre chose...

Et même, à la réflexion, c’est mieux.

 

Démonstration : aujourd’hui c’est dimanche

Je n’oublie pas que c’est le jour où,

Étant enfant, je vais à la messe, même que

L’odeur de l’encens me fiche le tournis.

 

Et avant la messe, la confesse. Là, les péchés

Ça y va à la manœuvre ! Tout dans l’impro !

Dieu qui voit tout a exonéré la carabistouille :

La gourmandise. Également la gourmandise.

 

Sinon la gourmandise ! Que ne dis-je alors :

« Mon dieu, mon dieu !... ». Quel massacre,

Mais bien plus fastoche que la récitation !

Sait-on ce qu’est la lassitude à cet âge ?

 

Pour l’heure, c’est le jour du vol-au-vent et du

Merveilleux. Ne pas confondre merveilleux

Merveilleux et dimanche d’enfer qui signifie,

Sauf à regarder Rintintin à la TV, faire tintin.

 

 

 

 

Ode au cerveau

 

 

Il fonctionne en binôme avec ce

qui lui passe par la tête au grand

dam de la suite dans les idées...

 

pour ne rien dire du triphasé !

 

D’une part, ce qu’il a fait jus-

qu’à il n’y a pas cinq minutes

 

D’autre part, ce à quoi il

va s’occuper plus tard

 

Tandis que sur le gaz ce

qu’on appelle réalité est

en train de déborder.

 

 



 A fake good news

Que sais-tu du malheur d’aimer ?

Il n’y a pas d’amour heureux

Louis Aragon

 

 

Après que je lui eus demandé « Ça va ? »,

Elle me répondit : « non, c’est pas le top ! ».

M’enquérant alors de la cause de ce coup

De blues, elle me dit qu’elle était tombée

Amoureuse. Amoureuse... La sachant maquée,

J’entrevis qu’il ne pouvait s’agir de son mec.

« Je suis amoureuse d’un poète », finit-elle

Par m’avouer visiblement fort troublée,

Ce à quoi je jugeai prudent d’opiner du

Plus gauche des « ah !... » qui me vint.

 

« Tu sais, l’évocation du vent sur la lande...

Ce lointain murmure... Le subtil accord

Entre l’âme et les bruyères odorantes...

Et ce cœur tumultueux... Cette félicité

Océanique me parle tellement !... »

Tandis que l’énumération d’images

Laissées à son émoi, et qu’elle avait eu

À cœur de retenir, finissait de me rassurer,

Je me surpris à sentir sa main me pétrir

Inconsciemment le haut de la cuisse...

 

 

 

 

Prééminence du signe, etc.

 

 

Les grandes croyances sont toutes nées d’un signe :

Croyance en dieu après que les dieux se fussent

Tous rués l’un sur l’autre comme un seul homme,

Croyance en ses prêtres qui malgré dérogations

Au ministère ne sont que des zobs après tout,

Croyance en un roi qui, à condition d’avoir pu le

Clamer haut et fort (nous en tenons un), soit roi,

Croyance en l’ordre s’il en est la démonstration

Spectaculaire,

Croyance dans les mots du pouvoir

Dès que la maîtrise de leur diffusion en est l’article,

Croyance doublement antécédente et subséquente

Dans le nerf de la guerre,

Croyance en l’amour au premier clin d’œil (quand

Même, malgré tout, quoi qu’on en dise, surtout...)

 

S’il faut en passer par là, j’en passe et des meilleures,

Bref, je mets en vente un certain nombre de signes

Collectés lors d’expéditions dans ma vaste cafetière.

Tous ne sont pas complets, beaucoup ont nécessité

De recoller les morceaux, c’est ce qui les authentifie,

Vintage garanti !

 

 

 

 

Impudence de la broutille

 

 

Dix sept heures au clocher, je prends mon café (... compris qu’il

Ne faut pas le faire trop fort).

 

La chatte de ma mère qui, maintenant que ma mère est placée, est

Devenue par la force des choses la seconde chatte de la maison,

M’énerve. Cette façon ostensible de filer doux, de ne pas rétorquer

À Picchu qui persiste à ne faire montre d’aucune amabilité à son

Égard est-elle signe de commisération, d’intelligence ou une ruse ?

 

À l’évidence, elle sait y faire, et jusque dans son bac où son obésité

Donne matière à de copieux séjours (bon, elle a commencé à

Dégonfler, c’est vrai !). Dorénavant, elle s’appelle Bouboulina (cf.

La rondouillarde Bouboulina de Zorba le Grec, non Laskarina B.,

L’héroïne nationale). Gagne-t-elle au change ? Tout ça reste à voir.

 

Je ne m’avance pas. La nuit dernière, elle a à nouveau pissé dans

Le pot du pachira : chiera-t-elle dans mes pissenlits ?

 

 

 

 

Va-t-il courir le risque de l’éblouissement, le cormoran ?

 

Pane, giochi e ragazze facile

 

 

Poésie, poésie !... On les connaît ceux-là qui n’arrêtent pas de parler

Poésie, ils n’ont que ça à la bouche, considérant que, sous couvert d’

Abracadabrantesques incantations à côté desquelles le volapuk est d’

Une totale limpidité, le monde avec eux est plus beau. Dites-nous,

Histrions, bonimenteurs des quatre jeudis, fanfarons : quel monde ?

Celui des albatros, des mouettes, des goélands, des hiboux ou

Celui de nos entrepreneurs providentiels, héroïques et fiers ?

 

Ces sermonnaires feignent de ne pas entendre les “pas de ça Lisette”

Que le monde normal s’évertue à leur adresser. Un temps durant

Leur art fut l’alibi langagier d’un déficit de paradis, mais ce temps-là

Est révolu. Avec le gîte et le couvert, l’eau courante et l’électricité,

L’iPhone et la BMW, quel poème répondra jamais du temps que

Sa rédaction nécessite au détriment d’occupations plus utiles ?

 

Profondeur, rêve, esprit : qu’ils se les gardent ces dictames ! Leurs

Antiennes sont piquées des vers, c’est le cas de le dire, outre qu’elles

Emmouscaillent le téléspectateur avec leurs airs entendus. Gardien

Du saint égoïsme, jaloux de sa force armée, celui-ci n’a nul besoin

De poésie, de beauté, de justice, de citoyenneté, seul l’intéresse

Le bien d’autrui, en l’en dépossédant au besoin, et de librement

Vibrionner en se gardant de lui faire confiance. Mais c’est aussi

Ça, la vie ! Oui aux LBD, non aux LGBT, si vous préférez !

 

 

 

 

Le Rire jaune de l’origine

 

 

À l’aurore de l’être, il n’appartient qu’à l’origine d’être

si violemment originelle, si frontalement originaire

et, si définitivement originale, elle qui se situe entre

l’avant navrant et l’empêtré après. Car s’il est donné

d’appeler origine l’origine, nul n’a jamais su désigner

par son nom ce qui résidait à l’orée, soit pour la pré-

céder, soit pour lui succéder. L’aurore, arête entre

deux orées, alternativement australe et boréale, per-

mise et possible, inaugure la propension de l’irration-

nel au rationnel à quoi s’attache si bien la raison bifide

du sens. De cette façon, s’élucide le caractère insignifiant

de l’inextinguible poème cardiaque. Cette propension

s’explique par la présence d’un élastique, souple jadis

dans l’intendance du va et vient entre l’âge doré à l’or fin

et l’argent blanchi au lait de chaux, au lait de chaumage,

le vrai chaumage du rêve ! Nous ne dépendons pas

de l’origine par un harnais originel, originaire ou même

original, nous dépendons de l’élastique que le logos

astiqua jusqu’à ce que l’inextinguible poème cardiaque,

hélas, ne tombe en morceaux ! Ce qu’il y a d’horripilant

dans cette prétention à l’origine c’est l’absolue absence

de pilosité, de porosité, de pot aux roses, de patatras.

Cette exvagination ex cathedra, cette impénétrabilité,

cette pose angélique et même évangélique, sont tout à

fait exaspérantes. L’inextinguible poème cardiaque eut

aussi une origine, une origine tomahawk traumatique

originée dans l’absolue certitude que tout vit et meurt.

L’absolue certitude y serre les souples tics de va et vient

qui font l’élastique. S’il y a un début, un début de tabacs :

belles raclées, beaux succès, il y a une fin naturellement

tyrannique et titanesque et tragique, une fin tannique

comme un vin fin, comme une feinte à la nique.

 

 

 

 

Pas-de-Patrie

 

 

Comme ils chantaient Allons enfants de la patrie, émus d’arborer

L’invincibilité bleu-blanc-rouge d’une raison obsolète ! Entendant

Cela la marâtre leur lança : « Ah non, ne me mêlez pas à vos salades !

Je suis la Thénardier, non la mère patrie. Je n’ai jamais mis quelque

Enfant que ce soit au monde. Monde que j’ignore bien, d’ailleurs.

 

J’ai beaucoup d’amis influents intéressés aux bénéfices, des corps

De fonctionnaires et d’armées à la solde de mes amis maquignons,

Des marchands d’armes, des institutions, des tricheurs assermentés,

Et puis j’ai mon cul. Comment jouirais-je et ferais-je jouir sans lui ?

J’ai beaucoup d’amis excellemment placés, mais d’enfants point ! »

 

À mi-course entre l’idéal et l’usurpation, l’idéal pour le désir de ceux

Qui n’ont pas de patrie, prolétaires, artistes, saints, esprits libres,

L’usurpation pour le pouvoir, il n’y a pas une patrie mais deux.
La patrie de ceux qui n’ont pas de patrie est-elle une patrie ? Elle

N’est pas une terre due, pas un exil, pas un espoir, pas une chimère.

 

 

 

 

Jupiter, 2917 mètres au-dessus du niveau de la mer

 

 

Que les pieds soient de plomb tant qu’ils veulent, mais

Les couilles, saviez-vous qu’elles étaient cotées en bourse ?

Au premier scintillement, quand bien même la verroterie

Eût prétendu que tout ce qui brille n’est pas or,

L’Olympe les inscrivit dans le Livre Guinness des records

Tant elles brillaient de mille feux, les couilles de Jupi’.

 

Pour nous qui déplorâmes la crucifixion (pour rire)

Du christ de Montfavet, les bourses de Jupi’ sont en or,

C’est indéniable, d’authentiques bourses picardes qui font

Drelin drelin drelin à toute volée quand il part en vacances.

Qu’importe la teneur du plastique dans l’alliage ! Jaloux !

 

Et ses foudres, avez-vous vu les foudres de Jupi’ ? Non ?

Ô Jupiter, fais-nous voir tes foudres ! De fort belles

Foudres de guerre en alu pour ne pas rouiller quand,

Par temps de pluie, tu lâches Médor sur l’adversité,

Et aussi tes couilles en or. Fais-nous part de tes trésors !

 

Sur le devant, on a passé trois plumes de paon, sur le côté,

Un amour d’paltoquet, pour être originales, elles le sont,

Ça j’vous le jure. C’est pas la bibine de n’importe qui la

Jupi d’la cuisse de Jupi’ ! À te voir si beau, tout Paris

Se tue à répéter : avez-vous vu dorées à l’or fin, chacune

Sertie d’un gros rubis, les roupettes, les roupettes de Jupi’ ?

 

 

 

 

C’est bien ce qu’il me semblait

 

 

Je monte et descends l’escalier, je vais où il me mène.

Ce n’est pas parce que je n’attends pas que l’inspira-

Tion me vienne que ça me vient, l’entreprise est lâche et

Ce n’est pas une sinécure que de convoquer le ça de l’in-

Spiration ; aller m’aérer serait plus inspiré.

 

Monter et descendre l’escalier, salutaire pour le cœur,

À leur façon, ses marches rythment ma condition.

Et puis je refais du café que j’emporte là-haut

Où je ne m’attends pas à ce que ça échoie.

 

Ça passe si vite. Surtout quand vient la veille du jour de

La semaine où à nouveau je trouve que ça a filé très vite

Et que mon pauvre cerveau n’a toujours pas capté.

Quel jour sommes-nous ? Quel jour êtes-vous ?

 

Je descends et remonte, mets un CD dans le lecteur

Et encore le café. Pour ce qui est de l’âme, ça va

Ça vient ; l’ayant retrouvée attifée en poupée gonflable

Dans le ventre d’une baleine échouée, j’en suis encore

À me demander si elle est la conscience de la mort dont

Je n’ai pas conscience.

 

 

 

 

Quel confusianisme

 

      ... selon Rapin et ses collaborateurs (Rapin, 1996 ; Rapin et Allen, 1998 ; Rapin et al. 2003), le SSP (syndrome sémantique-pragmatique) correspond à une altération sélective de la pragmatique langagière, de la formulation et de la compréhension du “discours connecté” (i.e. interlocution, échange verbal, récit) avec une préservation relative de la pragmatique non langagière...

Laurence Béaud et Clément de GuibertLa Psychiatrie de l’enfant 

 

Ai-je été fautif d’abstrusions, responsable d’abs-

Consités, coupable d’amphigouri ? Oui, trois fois

Oui ! Tout ce qu’il fallait ne pas écrire, je l’ai écrit !

C’est que, avant tout poème, il y a compulsion

 

Du beau bas art de vivre que l’on nomme poésie,

Bazar qui n’est jamais en reste avec moi et, donnant

Donnant, vis-à-vis duquel il m’est impossible d’être

Jamais quitte : qui a poétisé finira chèvre, c’est loi.

 

Poète celui qui, tournant autour du pot à mots,

Proroge la dette qui veut qu’il n’est de poème

Qui n’ait à charge infinie de refaire celui d’hier.

En aucun cas le pot à mots n’est un pot aux roses,

 

Car s’il se perd en lapsus, confusion, dénégation,

Logorrhée, aphasie, dysphasie et s’épanche en

Maints troubles intestinaux, il n’en est pas moins

Ce destin qui me laisse confus d’être si confus.

 

 

 

 

Les choses profondes sont affaires d’abysses. Pour les atteindre,

Au prix de bien des naufrages, il faut des mots lestés de plomb.

Leur vie est une aile, le vivant en est le prix. Or, quelle aile

S’encombrerait de mots-bouées ? Dixit le poisson-plastique.

 

Notre Monde c’est ce qui est dans le champ. Si le hors-champ

Rentre dans le champ, il rentre dans le Monde, devient Monde

Mais perd le hors-champ, le hors-monde. Ce qui est hors-champ

N’est pas le Monde. Même les galaxies lointaines, les trous noirs,

 

Quand ils rentrent dans le champ deviennent Monde, c’est

Pourquoi le Monde est le centre infini de l’univers, est le temps

Devant lequel le temps s’impatiente, s’inonde, s’immole, tout

Le temps, et même à contretemps, afin que nous continuions

 

De respirer les particules qui le composent et le décomposent.

Plus il va, plus il a la fulgurance de l’emploi et du contre-emploi,

Plus il remue, rumine, opine, rapine, culmine et nous largue au

Bout du compte. Obsolescence programmée, ô notre essence !

 

 

 

 

Prométhée

 

 

Pour lui, homme d’esprit, gentilhomme de la brise

Marine venu de nulle part et n’allant nulle part,

Rien n’a jamais été dit qu’afin d’inciter à l’effraction.

C’est pourquoi son histoire s’arrête où débute l’histoire.

 

Étonnant point de chute ! Si son histoire démarrait où

L’histoire s’interrompt, ou était une histoire de vases

Non communicants, ni d’un côté ni de l’autre il n’y aurait

D’histoire, mais au moins n’en ferait-elle pas mystère.

 

Est-ce que dans son inconstance la vie lui fut bien assez

Ressassée ? Commencée plus tôt, elle aurait été plus longue

Encore que la corde du mât de cocagne du Kon-Tiki.

 

Au contraire des birbes à la grise mine qui pédalent dans

La durabilité et rétropédalent dans la sénilité, il se contente

D’attendre à l’ombre attentatoire des primevères.

 

 

 

 

Course à l’échalote

 

 

Il s’est agi d’une course : The Big race ! LA course !

La grande des grandes,

La seule qu’on te priât jamais

De ne pas chercher à gagner.

Tu étais jeune, avec ce fier t-shirt tricolore qu’ont

Aujourd’hui encore les compétiteurs des 4 jeudis,

Ton dossard numéroté 17 867 493,

Ton guide Michelin et tes lunettes en verre pilé.

 

Et comme tu chantais Lola fait un tabac tralalalala

                        Lola fait les poussières tralalalalère !

 

Tu n’es pas parti en même temps que les autres

Telle était la clause, impérative,

Cependant tu étais libre de t’arrêter de courir,

Libre de te plaindre si tu en ressentais l’envie

Et même de décrocher quand tu voulais.

À l’arrivée tu as chanté à leur demande

La Versaillaise qu’ils t’ont payée en fricadelles

Et puis tu t’es raccroché à l’altière vieille lune

 

Après avoir sauvé les meubles

Et rangé toutes les chaises





Mes fils à retordre

(ou comment ne pas faire poème)

 

 

Les rêves ne sont pas que ce qu’ils sont, leur souvenir,

Et très prosaïquement ce qu’on en fait, les projette au réveil.

 

J’étais dans un rêve qui, comme on dit tendre une perche,

Me suggéra un fil. Dans ces cas-là, immanquablement,

Hop ! Je me réveille et me lève pour filer l’opportunité.

Hélas, n’ayant pas traité à temps l’information, j’ai perdu

Le fil. Se lever n’est pas tout, encore faut-il saisir l’aubaine.

 

J’en déduis que ce fil tenait lui-même à un fil moins fil que

le fil ou, en renversant l’image, plus fil que le fil : deux fils !

 

Mon rêve me proposait donc deux fils, ça me revient :

un fil majeur et un fil mineur, ledit mineur étant un fil altéré

et non pas de moindre importance (on aimerait dire

« Forcément » si mineur n’était si souvent déprécié).

 

À soi seul, aucun fil ne relève d’un bon bout, le bon bout

N’est pas plus attenant au fil majeur qu’au fil mineur. Pour

Retrouver le fil je dois simultanément pouvoir tenir compte

Du fil dont le fil est fonction. Pour autant qu’un bon bout

Fasse jamais clé, la clé implique l’autre fil. Sinon, R. A. S.

 

 

 

 

Nell’articolo d’amore

 

 

Sur le gril qui siège au sommet du rocher de Sisyphe,

Le vent du nord soufflait, soufflait, soufflait.

Oh, comme il soufflait ! quand je vis en contrebas

Cette vie dont les trous nous dispensent du récit.

 

C’est en histoire culottée à quoi manque la culotte

Qu’elle avait jadis décrété qu’il ne resterait plus d’évidence

Existentielle qu’au courant de la plume : cinq minutes.

Le temps d’un poème et d’une frite à la gare.

 

Est-ce le vent qui la fit choir ou la matraqueuse raison

Du plus fort ? Quoique bien abîmée, je reconnus

Ses assourdissants surgeons et ses chicots d’antan ;

L’impermanence de l’âge n’est jamais que de façade.

 

Elle et moi sommes de vieux amants. Les chiens de faïence

C’est du plâtre à côté. Et toujours foutus de nous mater

Des heures entières comme deux cornichons,

Nos cinq dernières minutes n’en finissent pas de retarder.

 

 

 

 

L’Oubliothécaire

 

 

J’étais né pour vous perdre

Dans d’obscures venelles,

J’étais fait pour ça, — j’ai vécu pour ça !

Mais la vie étant ce qu’elle est,

Il me faut me repentir de n’avoir fait

Que de vous envoyer aux pelotes

Sur les grands boulevards

Avec vos cris perçants de fourmis.

Si au moins j’en avais profité pour m’égarer...

Mais faire l’oubli n’est pas oublier,

Le malpropre c’est moi.

 

Le vrai poème pour celui qui en écrit

N’est pas le même que celui que vous lisez.

Le vrai poème pour celui qui écrit,

Tout entraperçu qu’il soit,

N’a toujours pas été révélé

Et ne le sera probablement jamais.

Tandis que le lecteur, lui,

Il lui suffit de savoir que le vrai poème

Exulte au plus profond de son fourbi.

Du coup, je me rattrape en faisant

De l’oubli versicolore à longueur de temps.

 

 

 

 

En train

avec entrain, ma non troppo

 

 

Dans un de ces trains d’hier pour Avesnes-sur-Helpe

Qu’étais-je en train de lire quand, à Templeuve

Je crois bien, elle prit place en face de moi ?

John Cleland ? Abbé de Choisy ? Apollinaire ?

 

Nous n’étions qu’elle et moi dans le compartiment,

Et peut-être même dans le train ; pulpeuse beauté

À qui Russ Meyer n’eût pas manqué de proposer

La vedette d’une trépidante historiette ferroviaire.

 

Il faisait chaud, l’été liquéfiait la chape de matière.

Comme elle avait ôté sa jaquette, il me sembla

Furtivement que chaque bouton de sa fine chemise

En dentelle pouvait craquer à tout moment.

 

Mais ce sont choses dont il ne faut parler qu’avec

D’infinies précautions, il ne s’agit pas de gâcher

L’émoi. Très vite la belle s’endormit et moi

Je me replongeai dans ma lecture un instant dévoyée.

 

 

 

 

À une indécente

 

 

Qu’es-tu devenue demoiselle qui, tenue pressée

Contre moi par la forte affluence du métro,

Mettons entre Passy et Denfert-Rochereau,

Me pelotas les génitoires par un jour d’été 71 ?

Il vient parfois aux gens de ces idées !...

 

S’il se peut que tu t’en souviennes, n’aie crainte

Il y a prescription, je ne porterai  pas plainte.

Et puis, hormis dire que je te trouvai charmante,

Ce qui en aucun cas n’eût été une excuse,

Comment te reconnaîtrais-je maintenant ?

 

Sois tranquille, ceci n’est pas pièce à conviction :

Un poème c’est un poème, nom de Dieu ! et

Cet écrit n’en est pas un. Un poème doit faire

Poème à la façon dont le zouave fait le zouave,

En aucun cas le mot couilles n’y aurait droit de cité.

 

 

 

 

À Morphée

(matutinale sérénade)

 

 

Comme il est vain

De vouloir avancer l’heure du réveil

Afin de mieux te ruer sur ce poème

Laissé en plan hier soir !

 

Qu’il soit à la va-comme-je-te-pousse

N’infirme rien. Fous-lui la paix !

 

Le litige vient davantage de

Ta carcasse qui voudrait dormir

Encore un chouia. Aussi laisse choir,

 

Ferme les yeux, rendors-toi,

Nul n’est plus libre qu’au doux instant

De regagner son paradis familier.

 

Laisse la chair de ton verbe se reposer,

Personne n’attend de poème de personne.

 

Retourne à tes lagons où sont baladins

Les puffins et ménestrels les pétrels.

 

 

 

 

Mourir, dit-il

 

 

C’est moi le guilledou, je vais y passer. Inéluctablement. Mardi je décanille,

Je dis : je meurs. Ou alors dans deux heures. Après quoi je clamse.

Ce n’est pas parce que je ne suis pas le seul que c’est une raison.

Je vais mourir comme un dératé, je sens ça, bougre de moi !

Mourir sur pied, aujourd’hui peut-être, ou alors demain.

Sans cathéter. Et si tout à coup je ne mourais plus...

 

Camarde, chère camarade par je ne sais quel manque d’imagination !

Dans quinze jours j’aurai dégagé. Lundi prochain ce sera fait.

Une mort fatalement avant terme. Ou alors mercredi.

Je n’en ai plus pour longtemps à ne pas claquer.

Aurai-je seulement le temps d’aller pisser ?

 

Il n’est pas possible que je ne meure pas (il n’est pas impossible

Que je meure : du mors aux dents à la mort aux trousses.

Je ne suis pas mort d’hier ou Les Cinq dernières minutes.

Avant de caner j’ai dû me dire que j’allais crever.

 

Dans un mois ou deux je serai allé me faire lanlaire.

Si, à ce qu’on dit, il y a une mort après la mort

Dans ma vie j’ai dû mourir bien des fois.

J’en ai vu qui n’arrivaient pas à mourir.

 

D’ici trois semaines ou plus j’aurai calanché.

Du transhumanisme à la métempsycose.

On verra bien ce qu’on verra...

 

À marée basse, amor fati

Fatigue tes amarres !

 

Mort, où est ma défaite ?

 

 

 

 

N’en pensant pas moins

 

 

Qui a jamais éprouvé le besoin de tout dire

A-t-il seulement entendu Long John Silver

Péter sa cargaison de fayots

En braillant hisse et ho ?

 

J’avais toutes raisons de supputer que

La proximité des verbes s’enlacer et s’en lasser

Déjà prise en otage au rayon du prévisible

Amour, s’en balançait.

 

L’Homme c’est celui qui fait le singe.

N’étant pas enclin au partage

J’ai préféré ne rien trouver à ajouter

À cette fatalité pour l’humanité.

 

Un poète qui écrit est moins intrigant

Qu’un poète dont on ne sait pas

Ce qu’il n’écrit pas.

Avec suppurer je n’aurais rien fait de bon,

 

Je ne suis quand même pas bête au point d’écrire

Ce que j’écris.




 

 

Les Pieds dans le plat

 

 

Elle met tous ses pieds dans le même plat.

 

Depuis le temps qu’il était sur le gaz,

Tout ce qui était bouillon s’est évaporé,

Les bigorneaux se sont tous fait la valoche

Et là, sous le fenouil, rien ne va plus.

 

Mais que le simple fait d’avoir pu ôter

Ses vieilles chaussettes toutes raides

Ait incité les voisins à ressortir de l’oubli

Leurs antiques instruments de musique

Donnera peut-être envie de s’enquérir

De l’endroit où trouver douce billetterie.

 

Ça ne clapote plus mais ça ne capote pas,

L’espoir luit comme un brin de paille et,

À 14 h 44 précises, l’ombre de l’oasis

Préexiste toujours aux déserts.

 

Au fond, Hortense n’a pas mis les bouts.

 

 

 

 

Humus (Platon) & Humérus (saint Augustin)

 

Humus : Et si on l’arrachait de là par la force, dis-je, en le faisant monter par la pente rocailleuse et raide, et si on ne le lâchait pas avant de l’avoir tiré dehors jusqu’à la lumière du soleil, n’en souffrirait-il pas, et ne s’indignerait-il pas d’être traîné de la sorte ?

 

Humérus : Au lieu d’aller dehors, rentre en toi-même

 

Humus : Et lorsqu’il arriverait à la lumière, les yeux inondés de l’éclat du jour, serait-il capable de voir ne fût-ce qu’une seule des choses qu’à présent on lui dirait être vraies ?

 

Humérus : C’est au cœur de l’homme qu’habite la vérité.

 

(Humus : République, livre VII / Humérus : Confessions, livre X)

 

L’ennui, j’y ai fait mon trou

J’y ai fait, des pieds et des mains

Et aussi bec et ongles,

Mes nuits illuminées.

 

Ce trou d’être, au plus je le creusais

Au plus mes pensées s’éclaircissaient,

Les choses devenant à mesure

Plus transparentes, plus préhensibles.

 

Ainsi, de limpidité en lucidité,

de tréfonds en argent des tréfonds,

un ultime ho hisse, mais inaugural,

me fit aboutir là où toute lumière noire

 

irradie l’esprit et l’initie :

au journal TV de 20 h !

 

 

 

Chez les Agosils (avril 2019)

 

 



QUI DIRA L’ODEUR DU VENT QUE L’ON SENT VENIR

 

 

 

Où est passé l’esprit

 

 

     Un groupe de folk rock chante Wild mountain thyme, les Byrds... et à mes pieds, qui me fixe, la chatte. Ces abscisse et ordonnée en forme d’état d’âme n’ont pas plus de rapport que ciel et mer n’en ont, si ce n’est une ligne tout là-bas. Entre penser ce que je dis et dire ce que je pense, bien entendu, je peux toujours fumer la peau de la banane.

     Les mots sont les esprits qui animent la forêt vierge de la langue, écoute-les : tradescantia, fourmi-lion, fougère, bananier, scolopendre, euphorbe, piranha, belladone, harpie, alocasia, anaconda, aconit, etc., mots nocturnement habilités par la ligne imaginaire que leur rayonnement projette sur les champs lexicaux. Mots-esprits/suicidés-vivants : la bacchanale des états d’âme !

 

     Suicidés-vivants : George A. Romero ne les a pas mis en scène en particulier, Antonin Artaud a brossé les traits de l’un d’eux : Van Gogh, Bram Stoker les a allégorisés dans la langue littéraire de la fin du XIXème siècle tandis que Paul Verlaine en a dressé un profil romantique aujourd’hui bien assimilé. La figure du suicidé-vivant reste à faire.

     Ligne imaginaire, ligne imaginale là où ça tangue, là où ça danse, de dendrites en synapses... Là où ça bascule. Qu’il faille à l’homme atteindre le repos sexuel (on peut dire existentiel) pour écrire des poèmes n’est pas une excuse. Vivre est un révélateur de poésie, la poésie est en retour un révélateur de cette vie sous la vie où vibrionnent les mots-esprits.

 

     Il y a chèvre, il y a chou comme jadis maman et papa comme cul et chemise me rappellent quelque chose. Souviens-toi qu’il fallut trouver langue sur le fil du rasoir entre vide et vide. Nous aurions pu nous tromper de fanaux.

     Acmé psychédélique de notre candide jeunesse dispensée par les mots-esprits au peu de prise que nous avions sur ce qui nous frôlait. Une sombre éclaircie de derrière le fretin de la conscience y croqua brièvement notre projection appelons-la céleste, ou océanique, ou cosmique. « Ce monde n’est pas clair ! », disions-nous. Ni le temps, irrésistible passe-temps.

 

 

 

 

La Bourbe

 

 « We were... knee deep in the Big Muddy,

But the big fool said to push on. »


(Pete Seeger, Waist deep in the Big Mudd)

 

     Arriva un temps où le monde extérieur et le monde intérieur, acculés l’un à son rétrécissement physique l’autre à son expansion virtuelle, se confondirent : que le monde me pensât ou que je pensasse le monde, l’indécidable était devenu le décidé, le décisif, la réalité. C’est ainsi qu’avec la wifi, le consommateur de pensées solubles dans l’air du temps que j’étais, découvrit la poubelle à laquelle il était assigné. En toute logique, je n’y étais pas seul, la vie m’ayant octroyé une très profuse compagnie d’asticots.

 

     Est-ce un paradoxe que dans une poubelle on puisse vivre et s’y sentir chez soi ? Diogène de Sinope n’a jamais déploré d’avoir élu domicile dans la jarre où il mena à bien son activité philosophique. Au dire des tonneliers, la décomposition des détritus, sésame de tous les recyclages, n’altère en rien la qualité du concept, qu’elle ait lieu dans une poubelle, une jarre, une caque ou même une tonne à purin, la puanteur n’étant d’ailleurs qu’une objection temporaire, tant il est vrai qu’on s’accoutume à tout : concept et compost ne s’y firent pas dire leur prédestination.

 

     Ainsi en va-t-il de nos avoirs conscience, discoureurs et présomptueux. Et jusqu’à la poésie, petite vérole quintessenciée du verbe, qu’il faut aimer mais qui, après avoir tant chanté la rose, n’en évoque plus aucun parfum quand elle devient leur affaire. Pour sortir de la poubelle quand il était temps encore, il eût fallu savoir qu’il était temps et n’y être pas jusqu’au cou. Or, avons-nous idée, ici et maintenant, de quoi il est temps ? Le temps passe à l’as, la vie passe le témoin et le trépas sonne la fin de partie.

 

     Sans même avoir payé leur coup à boire, ceux qui discourent répandent la rumeur d’un pays exemplaire depuis l’extinction des lanternes rouges des bouics, concomitante, disent-ils, de celle des lanternes rouges de l’émancipation sociale. La lumière du jour n’éclaire pas tout. La fragrance des poubelles infondées se rit des réveils levés matin, se rit de la giroflée, des fenaisons et des champs lexi-cocoricos, se rit du tiers comme du quart. Le chevet des puanteurs érectiles achèvera lui-même ses vœux de bon vent.

 

 

 

 

Et la concomitance fut

 

 

     Que ce soit dit : m’abstenir de parler de ce que je ne sais pas — question de prudence élémentaire. Et comme je ne sais pas grand-chose, je ne parlerai que de pas grand-chose. C’est un premier pas, parce qu’après ça je parlerai brièvement le rien du tout, avant que de me taire. Parler le rien du tout sera ma grande expérience (entend « espérance » qui veut).

     Ce que j’ai découvert en pataugeant dans le pas grand-chose que j’observe avec une circonspection de vieux Cheyenne chenu, c’est que souvent bien des gens sont comme moi à pieds joints dans la choucroute. Plus besoin de regarder où l’on met les pieds ; d’une part le rien envahissant ce qu’ils disent, d’autre part le débordant, ils y sont, ils y tiennent !

     Les chrétiens voient le mot « Dieu », les musulmans le mot « Allah », les hindouistes le Veda, et encore les mots du bouddhisme, de l’animisme, du judaïsme et même celui de l’athéisme. À chacun son mot de passe, tous, mains jointes, disant et répétant le leur car ces mots légués par tant de mamans, papas, tontons, tatas, cousins, cousines, voisins, voisines, leur semblent chemins balisés loin des gouffres plus profonds que l’univers.

     Pourquoi entends-je les uns plaindre les autres supposément moins disciplinés, moins éclairés, moins « croyants », de ne pas avoir recours à la même souscription qu’eux ? À l’origine l’imprononçable, ce fameux rien qui ici même me fait parler à tort et à travers, puis aussitôt la foultitude des exclusivités incroyables. Pensées copiées-collées, êtes-vous si dissemblables ?

 

 

 

 

Règlement de compte

 

     Écrire lisiblement qu’il eût été vain d’estimer que la vie n’engage à rien. Sitôt dans le ventre de maman, elle t’engage déjà à faire ton lit comme tu feras bien de te coucher. Si tes parents t’ont conçu ce n’est pas pour que tu ailles leur demander ce qu’implique de vivre après avoir balayé devant sa porte. Pourquoi ? Parce que la vie est un éternel recommencement. Parce qu’après avoir balayé devant ta porte il te faut de toute façon remettre ça, dixit Héraclite, Nietzsche et toi aussi Sisyphe.

 

     Si tes parents t’ont conçu c’est, d’emblée, pour que tu n’ailles pas leur casser le peu de sérénité qu’il y a à tenir sur ses jambes en dépit de ce genre de questions à la gomme. Ce n’est même pas pour que tu trouves par toi-même : nul n’est là pour trouver ; on est là, on fait avec, on aime à croire qu’on cherche, et c’est vrai qu’on cherche puisque les mots sont là pour ça. On ressasse aussi, c’est sûr. Tes parents ne se rendaient pas compte qu’ils ne s’en souciaient guère quand tu étais dans le ventre de maman, c’est maintenant que tu leur en causes qu’ils commencent à s’en rendre compte.

 

     Il faut écrire lisiblement qu’il est inutile, et même outrecuidant, de t’obstiner à les tarabuster avec ces protocoles antédiluviens, qu’il est préférable d’inventer pour son compte un bourdonnement d’abeille, un hennissement de cheval, un désert revenu de loin, un refus obstiné de ne pas inventer quoi que ce soit, une forêt vierge de tout quiproquo, un arpent de paysage au bout de sa tête.

 

 

 

 

Pays à vendre

 

 

     Naître à bout de cordon, prédisposé à faire figure de figurant à ses risques et périls... Imperturbablement, chavire la chaloupe et bascule la terre. Effectivement, on est libres de crier « Cor au pied ! » avec les vaches.

     L’homophonie de naître et n’être vaut bien un rasoir puisqu’on tranche à tous flûtiaux utiles. Libres de devoir acheter de quoi se loger, de devoir acheter de quoi manger, de quoi se chauffer, de quoi se soigner, de quoi se vêtir. Libres de devoir acheter de la liberté en promo à la petite semaine.

     La dualité langage-pensée est indécidable, seule la liberté qui n’existe qu’à condition d’être vénale est libre, sans elle les hommes n’existeraient quasiment plus.

     Le manant qui dit qu’il est libre de ne pas être libre a-t-il le courage d’être riche ? Qu’alors le seigneur à qui incombe la morale de l’histoire ordonne à la maréchaussée de l’éborgner.    

     Cette morale n’est jamais la morale au sens où lui, manant de l’histoire, voudrait qu’on lui dise le mal qu’il a fait. Indécidables, la langue censée ouvrir la pensée et la pensée le langage ?

 

     Envoi : Heureux celui qui a pris le temps d’écrire sa poésie à petit feu, il aura fait son impossible.

 

 

 

 

Vagues mouvantes

 

 

     Du nid-de-pie de l’embarcation qui nous mène tout là-bas, on peut s’escrimer heureux à scruter l’horizon en quête de crêtes et d’adversité, pourtant ce ne sont que vagues faisant des vagues. Ensuite, chaque soir au rapport de ce qu’on n’a rien vu d’autre, repassant par ce que le peu d’originalité que nous essayons d’instiller pour nous tenir en éveil ne soit pas indéfini. Admiratifs d’un mouvement qu’ils aimeraient le leur, les hommes font des hommes comme moins rarement qu’on ne le croit les chiens font des chats. Et quelle patte souveraine téléguide la morve des puissants !

 

     Les vagues procèdent par hauts et par bas qu’elles roulent, déroulent, gonflent, dégonflent, allant, venant et revenant dans leur souple alignement. Elles chantent et « houlent » (puissent les ourlets d’écume qu’elles font justifier ce néologisme !) les avatars, ou plutôt hurlent, quand elles se déchaînent sous l’œil d’Hokusai, de Turner et de Vernet. À moins que ce ne soit le vent qui hurle — on est bien infoutus de caractériser la voix des vagues. Sur le pont, plus on tend l’oreille moins on s’entend, on n’en persiste pas moins à douter que là-bas ne soit encore ici.

 

     Est-ce que revenir sur ses pas ne serait pas prendre le risque de marcher dans ce qu’on a eu la chance d’éviter ? Contrairement à nous qui avons largué les pleins et les déliés de nos pensées, les vagues dont il y a peu à dire d’elles qu’on ne sache, sont invariablement belles, quel que soit leur élan : coup de tabac ou mer d’huile, il n’y a de laides vagues que les non-vagues. Chez nous aussi, il n’y a d’hommes laids que les non-hommes, à ceci près que les non-vagues n’existent pas, tandis que les hommes laids, si.

 

 

 

 

La Crotte

 

 

     L’éminence grise du trottoir des faubourgs. Ne pense pas, gère les transferts de fonds, expédie les affaires courantes. Dans ses quartiers de prédilection, battant le pavé, le façonnant, le pétrissant, le minant et le transfigurant, ce trottoir, littéralement elle le fait afin que tout chaland en tire prompte esquive ou fatal patatras. L’âme des derniers décrottoirs m’est témoin qu’elle est loin d’avoir dit son dernier mot, rendu son dernier souffle.

 

     L’accorte aphasie dont elle fait preuve, c’est sa façon de parler, sinon d’elle, du moins pour elle, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne parle que d’elle ou qu’elle ne parle que pour elle. Il faudrait la diversité de modes des musiques modales pour prêter à l’invite, parce qu’au fond du pissepot il n’est pas simple de laisser filtrer les codes de l’autre quand on parle de soi. La crotte n’en a cure, le mode versaillais est d’une trop blanche perruque.

 

     Du temps où il n’était pas permis de mettre son doigt dans son nez, du temps où Lys Gauty chantait Les petits pavés, du temps où l’on disait « mince ! » pour « m... ! », la polysémie jouant beaucoup de son entre-dit, autant que caca, la crotte pouvait être en chocolat. Ah, fallait-il qu’au bruit des bottes succédât le flic flac des écrase-merde, au chocolat le choc jupitérien des flics ! Crotte, crotte, comme ton bon souvenir nous colle au cul !



À la naissance, n’y point naître

 

 

     Ce que j’écris, en un sens qu’à mon seul usage je proclame poétique, n’a strictement aucune importance, ne prétend pas être compris ou ne l’être pas : ici, en effet, que je me figure avoir des choses à dire ou non, la question de sa validité a statutairement cessé d’être.

     La question, la question !... Où est passée la question qui très péremptoirement prétend ici n’en être pas une ? Passée sous les fourches caudines ? Sous cape ? Sous le manteau ? Sous le tapis ? Sous le nez ? Sous silence ?

 

     Si j’estime avoir des choses à émettre, c’est dans la mesure où il me faut savoir le type de bruit que ça fait en retombant puisque, tout exclu de l’espace littéraire que je suis, il me faut continuer à éprouver mon appartenance à la langue.

     Le type de bruit peut ne pas faire question, ni même forcément du bruit, il n’en demeure pas moins un de ces types auquel toute figure de silence se doit de répondre. Le temps n’est pas au beau fixe, les questions ont plus d’une poussière dans l’œil.

 

     Toute chose sensée ou insensée que j’écrive, ce bruit dont je ne puis préjuger des personnes qui y seront sensibles ou insensibles, c’est mon imagination. Il y a de multiples clairons à cela : apparentement, mutisme éditorial, nombre exponentiel de postulants aux strapontins, etc.

     De même que la ligne finit toujours par passer à la ligne ou l’homme de vie à trépas, la question nous passe notre réponse. Aussi, le fait que la persifleurette qui persifflote fasse écho au lasso du lazzo n’a aucune importance.

 

 

 

 

Je n’ai pas encore trouvé

 

 

ce qui justifie qu’il faille un titre ou qu’un titre s’impose, certains titres peuvent faire partie de l’écrit comme c’est ici le cas, mais en général, pour ce qui me concerne, le titre est un intervenant extérieur on ne peut plus arbitraire (dans un des tapuscrits que j’ai sous le coude je les ai tous supprimés). Il se peut qu’il ne soit pas trop tard pour s’intituler « La canopée », ou « La canopée des braves », ou « Canopée sur terre aux hommes de bonne volonté », bien que, aussi luxuriante qu’elle soit, la canopée n’est pas précisément un lieu de villégiature. À plusieurs dizaines de mètres au-dessus de la jungle mondaine, elle n’est ni une tour d’ivoire ni un petit nuage, plutôt un service raréfié du vivant réchappé des ténèbres socio-sociétales, avec risques et périls ne différant pas de ceux attachés à la terre ferme.

 

     Le type même du survivant d’une lointaine apocalypse est, en ces lieux, le bradype, animal surtout connu sous le nom de paresseux, bien que sa « paresse » physiologique ne soit en rien redevable à celle dont Paul Lafargue fit l’éloge. Atone mais vaillant dans l’escalade, le paresseux m’apparaît comme étant la transposition, en 2020, de l’albatros, ce prince des nuées déchu selon Baudelaire. Les airs de ressemblance de sa canopée avec notre monde posthume, lui aussi suspendu au-dessus de l’abîme, n’échappent pas à l’observation.

 

     À l’extrême siccité que son altitude lui inflige s’ajoute le surplomb sans garde-fou d’un monde de ténèbres, la méprise entre appel du vide et appel d’air étant désormais agréée par l’Académie Posthumière. Et puis ce titre qui, soi-disant tenu à l’écrit, fait tout pour s’en démarquer, n’a-t-il pas l’air fin, tiré à quatre épingles, avec ses majuscules ? Plastronnant, minaudant, n’en étant pas un tout en en étant un — roublard, va ! Évidemment que tu es un titre, et de la plus vile espèce ! Tu ne mérites que le torpillage du texte auquel tu prétends. Garde-les pour toi tes capucins, harpies, margays et autres perroquets. Et puisqu’il n’est pas trop tard, tiens, prends celui-ci : « Canopée de lapin ! » Il est libre de droits.

 

 

 

 

Tandis que l’odalisque se tire avec le cadet d’eau douce

 

 

     Aujourd’hui, il pleut à verse. Pour qui a noyé son chagrin ou crié « Terre ! » en désespoir de cause, le monde plein d’eau est très pratique pour jeter son dévolu sur la mer. Justement, les terres sont inondées et ce n’est pas peu dire qu’avoir les pieds sur terre c’est les avoir dans la gadoue.

 

     L’eau c’est la vie, et sans la vie on ne ferait rien, ou sinon rien en tout cas pas grand-chose. Par exemple on ne respirerait plus, on ne pêcherait plus la sardine ou le hareng, la crevette et le petit poisson, on ne traverserait plus le Channel ni on ne persisterait à débarquer à Arromanches. Ce serait la cata.

 

     L’eau n’est pas seulement irremplaçable pour faire le thé, la lessive, la vaisselle et même pour essuyer avec l’éponge ce que la maîtresse d’école a écrit au tableau, elle sert aussi à balancer par-dessus bord ce dont l’homme ne se sert plus et qu’on décrète vétuste :  bandes molletières, postes à galène, brodequins, etc.

 

     Que le quai fasse machine arrière, que le ciel revienne sur ses pas, que certains objets s’obstinent à faire la planche entre roulis et tangage, l’eau reste très demandée pour naviguer à vue, ramer sur les gouffres amers, sous les ponts Mirabeau de la mélancolie ou se préparer un ultime potage avant de boire le bouillon.

 

 

 

 

Envie de dormir

 

      « ... dormir, rien de plus... et dire que par ce sommeil nous mettons fin aux maux du cœur et aux mille tortures naturelles qui sont le legs de la chair : c’est là une terminaison qu’on doit souhaiter avec ferveur. »

(Hamlet)

 

     Oh, souffler la chandelle !...

 

     « La forme c’est le fond qui remonte à la surface », a dit le vieil Hugo. C’est pourquoi toutes les violences d’État, aujourd’hui partenaires d’un même maelström mondialiste, se copient, s’échangent, s’équivalent : celle de Donald Trump équivaut à celle de Vladimir Poutine qui équivaut à celle de Kim Jong-un qui équivaut à celle de Recep Tayyip Erdoğan qui équivaut à celle d’Ali Khameini qui équivaut à celle d’Abdel Fattah al-Sissi qui équivaut à celle de Mohammed ben Salmane qui équivaut à celle de Benyamin Netanyahou qui équivaut, chez nous, à celle d’Emmanuel Macron, prince des microcéphales et grand commandeur des éborgneurs.

 

     Selon que de toutes leurs gouvernances économico-réfléchissantes, militaro-complémentaires, idéologico-concomitantes, psycho-interchangeables et autolubrifiantes, ces violences s’attirent, Donald Trump ferait un parfait président russe, Ali Khameini un président nord-coréen des plus spirituels, Abdel Fattah al-Sissi un irréprochable président états-unien, Recep Tayyip Erdoğan un délicat monarque arabe, Vladimir Poutine un président turc fort distingué, Kim Jong-un un vénérable président égyptien, Mohammed ben Salmane un révérencieux mollah iranien, Benyamin Netanyahou un subtil président français et, réciproquement, Emmanuel Macron un authentique spadassassin israélien.

 

     Leurs violences enlèvent jusqu’aux mots de la tête et quand je me mets à vouloir me parler je sais d’avance que je ne saurai pas quoi me répondre. Elles ont travaillé à ce que, faute de questions, les hommes déglutissent d’abstruses réponses. Sans répit, elles inventent de quoi les faire chanter. Elles frappent pour enfoncer le clou, accrochent des lumignons aux pattes des corbeaux, rotent leur hydromel national, prennent les nuits pour en faire de ces boîtes où l’éternité est stroboscopique. Maintenant qu’elles ont la possibilité de ne pas nous laisser mourir, elles nous laissent vivre de faim.

 

     Mon envie de dormir est pure de tout être fatigué ou de tout avoir sommeil, pure comme on le dit de la blanche, de la blanche nuit lacérée d’illuminations, sa sœur de lait. Dormir, dormir justement comme l’engoulevent sous la ramée. Ô nuit, ô terre promise !

 

 

 

 

Au Tripatouille-moi ça

 

 

     Au Tripatouille-moi ça, je peux presque dire que j’y suis né : son baby-foot, son flipper ou plutôt ses flippers, car il y en eut plusieurs générations, et bien entendu son juke-box (« High school confidential », « Money », « Time is on my side » et tant d’autres). J’en ai vu et entendu un max, du subtil comme du bien poisseux. Place Johnny Guitare il y avait encore, plus racés, Le Rendez-vous des bons copains, Le Tord-boyau et Chez Claudette, pourtant c’est ici que nous avons fait nos classes, peut-être parce que le vieux nous montrait comment nettoyer les carbus de nos bécanes, plus sûrement pour son « bastringue » comme il l’appelait.

 

     Fief de bien des idiots du quartier, personne n’a jamais eu l’idée de venir en troubler la quiétude interlope où l’odeur de friture le disputait à celle du vieux mégot. Quand il était bien luné, le boss, sorte de tonton macoute du club de foot et tête de con pour nombre de riverains, offrait non sans ostentation une chope. Un coin oublié dirons-nous, la Révolution s’y jouait au 421, rien à voir avec le Bronx, ce qui explique qu’on a eu toute latitude pour y vieillir à petit feu.

 

     Au Tripatouille-moi ça c’était au coin, là-bas. Ça n’existe presque plus, « presque » parce qu’en réalité, en catimini si tu préfères, les aficionados du one more time y ont leur accès souterrain. Ce faramineux arrière-pays où nos dieux lointains se sont retirés fait qu’ils n’ont plus le temps d’imaginer quoi que ce soit d’autre, qu’ici faisant désert de tout bois, le vrai tripatouillage suffit maintenant pour dispenser de la lumière. Et c’est ainsi qu’on chante. Tu peux essayer toi aussi. Tu passes par la cour qui est derrière, après le long couloir et une ou deux portes, tu débouches ; le parcours est initiatique, enfin faut connaître. Sinon, tu demandes, le secret n’est pas si bien gardé que ça.

 

 

 

 

De la prééminence de la queue de poisson

 

 

     Retrouvé tout à l’heure en marchant dans la campagne environnante le mot « décombres » dont il m’avait semblé, hier avant de m’endormir, que j’aurais besoin au réveil pour achever mon précédent écrit. Ne l’ayant évidemment pas retrouvé, je l’ai quelque peu terminé en queue de poisson, ce qui est sans doute ce à quoi nous sommes contraints quand nous perdons le fil, le précieux fil.

 

     En écriture, en tout cas, il n’y a pas d’amour heureux, l’esprit n’est pas un fil, tout au plus un filet. On se souvient qu’Au Tripatouille-moi ça était de l’ordre du vestige aussi, dans ma prospection alentour, allai-je m’enquérir des ruines que je m’imaginais évoquées dans tel spicilège (spicilège, un mot également tombé en désuétude) reparcouru pour l’occasion et dans lequel je n’aboutis à aucune ruine en tant que telle, à mon grand regret.

 

     Quant à dire comment de « ruines » je fis « décombres » avant de m’endormir, je ne le sais pas. L’un n’est pas l’autre, ne serait-ce que parce que « décombres » ne prend pas ce singulier qui me permet de trouver une ruine évocatrice, belle même, chose impossible dans le cas de « décombres » auquel nulle verticalité, nulle hauteur de vue, ne laisse de chance. Et la désolation régnante ne permet pas de comprendre à quelles ruines ou à quels décombres nous sommes voués.

 

 

 

 

De l’amour

 

 

     La confiance est le substrat de l’amour. Cette simple évidence, ce sont nos deux chattes qui me la rappellent quotidiennement. Je sais bien qu’elles m’aiment avec des affects qui n’ont pas le sens que nous prêtons contradictoirement au mot amour, mais aussi, quand je leur donne à manger, quand je les soigne, quand je les caresse et leur murmure des gentillesses, qu’elles ont une absolue confiance en moi. Et cela m’honore, moi aussi j’ai confiance en elles. Notre infracommunication me permet d’être un peu moins humain et un peu plus chat, au moins à leurs yeux. À l’instar des diagonales du losange qui se coupent en leur milieu et sont perpendiculaires, la confiance est ici la condition nécessaire et suffisante de l’amour.

     Et avec cette mère Patrie à la triste réputation, avec qui nous sommes censés, et même tenus, d’avoir un rapport de confiance quasi amniotique : confiance ou défiance ?

     Il y a loin de cette patrie à une république, multa cadunt inter calicem supremaque labra. Cette mère qui a fait sa pelote depuis Hugo, c’est la Thénardier, une marâtre adoptive doublée d’une prévaricatrice. Elle n’a aucun lien de parenté avec la majorité des habitants de la France, aucun lien de parenté avec ceux qu’elle envoie se faire trucider pour le roi de Prusse, aucun lien de parenté avec ceux qu’elle enchaîne dans les bagnes industriels, aucun lien de parenté avec ceux qu’elle confine dans des ghettos ou sous les ponts de la misère. La mère Patrie est la mère de ceux qui en ont l’usufruit et d’eux seuls. Les autres, français par raccroc, en sont les ilotes.

     Éborgneurs microcéphales, Junons fatales, gigolos, laquais macroncéphales, ce n’est pas extrapolation que de dire que, aujourd’hui comme hier, l’œdipe patriotique nourrit un vichysme viscéral en son sein. Non, je ne les sens pas légions ceux qui, parmi eux, résisteraient au pire si l’Histoire venait nous rappeler au bon souvenir de ses turpitudes. L’amour sacré de la Patrie que vante leur hymne national c’est du pissat pour les écornifleurs, du flan, de la bouillie pour les chats que nos deux chattes refourguent aux chiens avec l’omoplate de Pierre Laval, du fond de leur sommeil sans inquiétude.

 

 

 

 

Le Soleil de l’impolitique

 

 

     Pourquoi la vie s’attache tellement à nous modeler de façon aussi biscornue ? Pourquoi nous empêche-t-elle avec une telle insistance de nous voir tels que nous sommes alors que, dans leur perspicacité, les oiseaux retrouvent en nous les épouvantails qu’ils connaissent si bien ? Parce que la vie ce sont les hommes et que les hommes ne sont jamais n’importe quels drôles d’oiseaux.

 

     Imagine-t-on un dresseur de chevaux sans, ne fût-ce qu’un poney à dresser ? Imagine-t-on un accordeur de pianos sans, ne fût-ce qu’un mélodica, à accorder ? Imagine-t-on une esthéticienne sans pubis, ne fût-ce qu’une furtive brésilienne, à épiler ? Imagine-t-on un grand pêcheur sans appât à son hameçon, ne fût-ce qu’un insigne vermicelle ?

 

     Sous l’égide de quel mérite les choses valent-elles d’être assénées à longueur de fumigeantes retapes ? Nous ne nous leurrons pas, il n’y a de libre clairvoyance que conditionnelle, la politique ne nous colle à la peau que pour nous assigner à la nécessité de dépendre, craintifs et tristes, de sa litanie. Peuples à qui l’on prodigue des cours de désespoir, peuples qui se terrent face contre ciel.

 

     La politique est l’arme tranchante de ceux qui promulguent l’inéluctabilité du mal imputé aux choses. Huitzilopochtli et ses prêtres parlent soleil et guerre : la novlangue du pouvoir. Ils enterrent à tour de bras et régurgitent les morts. Au moins le pas lent du cheval du corbillard d’antan nous laissait un peu de temps pour méditer sur ce pendant de nos existences.

 

     Politique/poétique sont, dans toutes les acceptions du mot réel, deux mots attachés au réel. Pourtant ils ne s’accordent pas l’un l’autre, le premier désigne une forme avilie du second, le second — biodégradable — est l’illusion de la forme sublimée du premier. Leur irréconciliation continue de faire ses preuves, notre schizophrénie est avérée.



Chez les Agosils (mai 2019)


 


De l’idiosyncrasie comme antalgique

 

 

     Doliprane, Dafalgan, Aspégic, Efferalgan, noms salvateurs, votre cocktail est inépuisable. Maintenant, quant à dire pourquoi je vous évoque, je ne vois pas, je n’ai mal nulle part, aucune douleur, rien ! Du coup, si ce n’était l’empire du quotidien, je prétendrais que la douleur n’est rien d’autre que son expression la plus dénuée d’existence, La Souffrance, ça n’existe pas pouvant même faire le titre d’une chanson. Naturellement, on ne nous la fera pas, parce que, quand même, l’empire du quotidien ce n’est pas de la tarte ! On sait ce que c’est que d’avoir mal, surtout après avoir cru n’avoir plus mal : hurler pour un oui pour un non, hurler en se couchant, hurler en se levant, hurler en s’asseyant, hurler en toussant, en bâillant. Pourtant, qui peut dire en toute clairvoyance ce qu’est ne pas avoir mal ? Ne pas avoir mal c’est ne pas penser qu’on n’a pas mal. C’est bête comme chou mais c’est comme ça depuis que l’homme se retient de parler pour ne rien dire.

 

     Quand même, en y réfléchissant un petit peu, ne serait-il possible que j’aie mal ? Mal en me retournant, mal en levant la tête, en me baissant, en mordant sur une cacahuète... Il ne suffit que d’une quinzaine de kilos de viscères et de huit bons mètres d’intestin manifestement sens dessus dessous. En ce cas, il y a sans conteste un rapport entre la pensée et la douleur. Je pense que j’ai mal, donc j’ai mal, et là, par le plus élémentaire des solipsismes, la pensée de la douleur qu’éprouvent les autres ne compense rien, elle peut même aller jusqu’à supposer qu’ils ne savent pas qu’ils souffrent et dans la foulée suggérer cette réponse à la question « qui sont-ils ? » : ils sont ceux qui ne souffrent pas. Pour leur accorder une souffrance qui équivaille à la mienne, il faudrait suspendre la thèse de l’altérité ; pour qu’ils aient mal, il faudrait qu’ils soient moi. Je ne vois guère d’alternative, soit ils ne souffrent pas comme « moi » souffre, soit ils sont « moi ».

 

 

 

 

Cent balles pour un casse-tête

 

 

     Deux questions que je me suis posées à deux moments différents : « peut-on se dispenser de parler de soi, ou pour soi ? » et « est-on jamais si sûr d’exister ? »

     D’où est venu que je me pose ces questions qui sont d’autant moins sans rapport qu’une grande futilité semble les embrigader ? D’abord, il me semble que parler de soi, ou pour soi, est unanimement considéré comme un agréable passe-temps, de toute façon moins préjudiciable que de parler pour les autres. Ensuite, même réduite à sa plus simple expression et sauf trouble mental particulier, la certitude d’exister ne fait de doute pour personne.

     Peut-on se dispenser de parler de soi ? Jusqu’à un certain point, oui on peut, mais dans l’absolu, non, on ne peut pas. Je laisse la subtilité du hiatus à la sagacité du lecteur qui aura eu l’imprudence de s’aventurer aux portes de ce labyrinthe. Ne convient-il pas de se demander si je n’existe jamais tant que quand je me mets en scène, par exemple en parlant de moi, ou pour moi.

     Oublions la clause de l’allocutaire — importante certes mais pas décisive — ne pas trouver à qui parler n’empêchant pas de parler. Qui n’en a croisé, dans la rue, qui parlaient tout seuls ? Le comble n’étant plus de parler tout seul à son smartphone. Vous-mêmes dans votre tête, ne faites-vous pas que ça ? Descartes l’avait déjà dit. Le contraire serait de parler d’un lieu inaudible, ce qui serait insensé.

     Revenant à cette attestation de notre existence suspendue à sa courbe de réponse. Il faut là aussi insister sur l’évidence que nous vivons parmi bien plus de morts que de vivants. On m’objectera qu’exister n’est pas seulement vivre mais vivre dans la conscience de l’autre. Sauf à négliger que l’autre de la conscience est une instance, l’objection me semble réfutable.

     Donc, je ne vois pas, et je crois bien que c’est pour cela qu’il me faut écrire et dessiner. L’écriture est la lampe de poche des aveugles qui voient bien que ce qu’ils voient n’atteint pas ce qu’il y a à exister.

 

 

 

 

Mortaise

 

 

     Pour toi, lecteur, les mots ajoutés aux mots font les histoires que tu aimes, pour moi au contraire les mots déambulent, se dérobent et souvent se substituent les uns aux autres jusqu’à s’engloutir dans « les gouffres amers ». Toute pédagogique qu’elle se veuille, la recommandation faite par les briscards du vers de lire les poètes pour pouvoir écrire des poèmes a maintes fois démontré à quel point elle devait être réfrénée, tant il est vrai que ne pas en écrire « à la façon de » s’avère très vite une gageure. Le poème, on ne peut pas dire que ça marche fort, mais c’est normal, la vie non plus ça ne marche pas fort. On se rend bien compte qu’on est en train de ne plus se rendre compte qu’avec la turbidité idéologique on perd une à une nos boussoles, qu’elles soient mentales ou biologiques. Combien se rappellent ce que fut qu’être jeune ? Ce que fut de pouvoir donner libre cours à son énergie ? Jadis, je vouai un culte à la poésie, aujourd’hui je l’entends dans la mesure où je réprouve toute croyance à son égard, elle qui n’est même plus capable d’une éruption cutanée. Il y a beaucoup de choses auxquelles je crois dans la mesure où je n’y crois pas, mais croire est si abusif, si abrasif et adhésif à la fois : justice, liberté, bon dieu, amour, beauté... Être dans les mots, dans les mots profonds que l’on voit flotter avec les matières plastiques, c’est être dans la merde. Abysses, mots profonds, mots abyssaux, comme on y fait du pédalo ! On ne peut vraiment croire aux hypothèses que les choses suggèrent que dans la mesure où ni elles ne nous collent ni on ne leur colle à la peau. Pour croire, si croire est le bon mot, il faut une mortaise.

 

 

 

 

Mariolle morale

 

 

     L’écrit, ce cher aïeul, c’était caverne d’Ali Baba, Afrique, ivoire, manganèse, cuivre, cacao, bisimbi. Entre la face primesautière des choses et le monde usiné de leur apparence, un fouillis d’oublis. Et mon écrit qui fait des bulles... La vie hante les sombres couloirs d’une folie normale, montre patte blanche à la fièvre du samedi soir comme à la piété dominicale

     Elle fait son parergon de tout bois, et non du radeau de la Méduse ou, parti de Sabratha, de cet esquif que les maîtres penseurs et leurs passeurs ont le pouvoir de faire chavirer en capitalisant sur tribord. Elle se garde de ne pas faire de pâtés sur la chose même.

     Elle n’est pas dispensatrice de l’épreuve qui la manifeste, ni la page de la plage où l’écueil veille : elle cherche ses mots et trouve des mots parmi lesquels l’interposition fera son nid comme le soleil de l’ombre au sommeil.

 

     Et si jamais la vie, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre derrière son double, se mettait à ressembler à cette page d’écriture ?... Un décalque total de son immatérialité en dépit / aux dépens / en vertu / au nom / au bon souvenir du vieil écrit, la trouver ne serait-ce pas la perdre ?

     Un soir, on se figure que ça va quand aussitôt la foudre révèle le noir de la nuit noire. Une autre fois, on se voit terrassé alors que les dieux badinent sous la charmille. La vie n’est pas la belle chalouperie que parraine le déluge. Son sable fait sa plage avec nos ratures, l’écriture en est le blanc d’essai, l’encre, l’ancrage, le mouvement perpétuel, la vis sans fin, le trou deux fois perdu.

 

 

 

 

Potlatch-potjevleesch

 

 

     Et pourtant tout se côtoie, se mate, s’effleure, se salue, se rencontre, se trouve, se frotte, se pique, se répond, se superpose, s’effeuille, se déplace, se prend, s’interpénètre, s’enchaîne, se méprend, s’achète, se vend, s’enlace, se lasse, se laisse, se remplace, se délace, se perd, se retrouve, se délasse, se dépote, se goûte, se combine, se brasse, se mixe, se confond... se baise tout simplement.

 

     Et pourtant la terre et la mer et les femmes et les hommes et les jours et les nuits et le Levant et le Couchant et la jeunesse et la vieillesse et le noir et le blanc et le vrai et l’ivraie et le bon grain et la mauvaise graine et la pluie et le beau temps et le fond et la forme et le beurre et l’argent du beurre et le salé et le sucré et le doux-amer et le tic-tac et le clair-obscur... et les fruits de la bête et les bruits de la fête.

 

 

 

 

Tu viens, chéri ?

— Du mot de Vénus à son démon même —

 

 

     S’il est volage, le mot volatil du volubile, c’est parce qu’il n’a pas le temps de se faire du mouron. Quel moulin à paroles sachant mouliner moulinerait sans vis-à-vis ? Sans vis sans fin ? « Parlez-moi d’amour / Redites-moi des choses tendres ». J’atteste qu’il n’est bon bec que de pie.

 

     J’ai remarqué qu’un beau parleur aimant s’entendre parler parle souvent pour vérifier si ce qui lui paraît du plus haut intérêt est digne de porter ses couleurs. Également, c’est vrai, parce que ce qui ressortit de la bouche est un plaisir qui ne s’éprouve jamais autant qu’à table.

 

     D’où l’expression « se mettre à table ! ». Alors, si on se mettait à table ! La Mise à table n’est pas un tombeau du Caravage ni postillonner un synonyme de cracher le morceau, qu’en dis-tu ?...

— Oui, ce serait cool.

 

     Pour parler il vaut mieux être deux et avoir de l’ouïe. Parce que, l’âge aidant, la feuille devenant dure et la mémoire fonction de ses trous, ce qui va entrer par une oreille ne manquera pas de sortir par l’autre. Ils ne sont pas beaux ces vieux potes qui, assis sur leur banc, regardant au loin, ont encore du silence à se dire ?

 

 

 

 

Là-bas aux confins

 

 

     Ni il fait clair, ni il fait sombre : il ne fait rien.

     Ni il fait chaud, ni il fait froid — ni indifférenciation, ni tiédeur pourtant.

     Ni c’est spacieux, ni c’est confiné, situation d’immobilité irréprochable.

     Ni je pense, ni je ne pense pas, avec nette prédilection pour « je ne pense pas », toute pensée étant vestige d’histoire ancienne. L’inlassable histoire ancienne...

     Ni ne suis, ni ne suis pas, juste un zeste de « je suis » afin d’estimer à quel point je ne suis pas, mais pas plus ; ce que j’en dis c’est pour ne pas vous larguer. En vérité, mettre un mot derrière l’autre m’est devenu gageure.

     Du coup, ni rime ni raison, forcément.

     Vous, vous appelleriez peut-être ça « sérénité » si « sérénité » n’était un de ces gros mots qu’invoque le sentiment d’angoisse et s’il me prenait encore d’être sentimentalement angoissé. Présentement, c’est idem : ni quiet ni inquiet.

     Quiconque, devant une telle mise à ras, en profiterait pour boire un coup et casser une petite graine, mais ni n’ai faim ni n’ai soif — et je ne perds pas au change.

     Je ne gagne rien non plus, ni l’envie de vous égayer en discourant, ni celle de m’égailler au lieu de me taire. Terrons-nous plutôt, je n’ai rien dit et vous n’avez rien entendu ! Du coup, si vous tendez l’oreille, si cela vous parvient, écoutez... Les confins bruissent, les confins chantent !

 

 

 

 

Exaspéré

 

 

     Sans doute avez-vous déjà éprouvé ce qui s’appelle « sortir de ses gonds », se dégonder, ne plus tenir sur ses gonds... Cette bouffée d’adrénaline qui vous vient des reins et, tel un raz-de-marée, vous inonde... Curieuse sensation, si subite... Je ne saurais plus dire avec précision en quelle circonstance ça m’est venu. Je devais discuter tranquillement avec je ne sais plus qui — on ne sait pas toujours quelle tempête couve sous la bonace, le mot de trop n’y suffit pas, il faut que de l’insidieux passe à travers les mailles de la bienséance et induise. Bref, tout à coup m’a pris que le chant du rossignol m’écorchait les oreilles, que je l’abhorrais. Autant je me suis surpris moi-même, autant le ton de réfutation sur lequel je lui ai signifié l’a positivement interloqué, je l’ai bien vu. Et maintenant que j’y repense je suis convaincu avoir cru à ce que je disais. Dès lors, j’en ai profité pour pousser le bouchon, fallait-il qu’il m’ait gonflé !

 

     Je lui ai dit que la rose avec sa gamme si ostentatoire de parfums, eh bien je l’exécrais. Que l’amitié si universellement magnifiée en dépit de toutes ses roueries, je la maudissais. Quoi encore ? Que j’avais une profonde aversion pour les vers qu’il venait de m’évoquer. Pour un peu il me les lisait ! Je n’ai pas caché non plus que j’abominais les enfants si volontiers sadiques avec leurs dictateurs en puissance et leurs cris. Normalement je n’avais pas besoin de dire que je détestais la musique qui tout à coup dut ne m’apparaître que bruits et prétentions mais je le lui ai quand même certifié. Je ne me suis pas davantage retenu de vouer la beauté et son cortège de louanges aux gémonies. Dans la foulée j’ai escagassé tous les grands cacatois de l’esprit et empapaouté Ste Nitouche, St Glinglin et tout le St Frusquin. C’est comme ça que ça s’est passé. Aucun regret.

 

 

 

 

Notes futiles

 

 

     Acculé à l’émulsion du monde dans une corne stridulante, acculé au futur en guise de passé, à n’être qu’histoire, à l’indicible flageolant, à l’archive de ta maison, aux allées et venues de ces figures de pensée appelées mots, au bonheur par défaut face à l’évidence nébuleuse, à la mort en échange du vain désir de disparaître, au catastrophisme par pangolins interposés, aux dernières infox moyennant pépètes, à cette imprimante qui n’imprime pas, aux bras qui t’en tombent, aux dents qui se font la malle, aux pixels de l’image narcissique, à l’enivrante malléabilité du poème, à l’atrophie d’être, à son rien primordial.

 

     Combien en as-tu vus de ces bretteurs à gages, toutes pensées dans les talons, cherchant l’ivresse dans les étoiles et ne décrochant que des confettis ? S’il faut t’en croire, toi qui fus ma première conquête au sortir du gazouillis, toi qui d’un souple saut de mouton me convia à la quiddité de l’élan et qui m’appris à pisser ainsi que les hommes pissent, aucune herbe coupée de frais n’a jamais démenti la mer à boire. Acculé au sens qui passe du coq à l’âne, principe volatil. 

 

     Sauf à s’interrompre dans le coup de théâtre d’une formule, l’existence, tourbillon de toi expédié dans les roses, est le surcroît dont se réclame le manque à être. À cet endroit, le face à face des pensées et des pensées fait son lit, le chas du sens n’est pas aussi étroit qu’on le dit. C’est la nuit qui l’a fait venir et, donnant-donnant, c’est lui qui, prêtant à l’effet de revêtir la cause, met la nuit à jour dans la conscience. La terre doit être sèche pour que l’homme faible s’en remette à sa faiblesse. Acculé, acculé, te dis-je.

 

 

 

 

La Légende des objets

 

 

     L’essentiel n’est essentiel que dans la mesure de ce qui nous en sépare. Avez-vous remarqué qu’il n’y a plus de place nulle part ? Rues saturées d’automobiles de plus en plus volumineuses, appartements occupés par des écrans de plus en plus larges, placards, buffets, consciences même, nos consciences débordantes d’infos et de jacasseries, déménagées à l’ombre d’elles-mêmes, nos cerveaux déménagés dans leur disque dur externe. Amours, sommes-nous encore là ?

 

     Quand nous sommes morts, et sans doute sommes-nous déjà morts, la plupart des choses que nous avons collectées notre vie durant : choses qui suscitèrent notre intérêt, ou que nous trouvâmes belles, pièces rares, reliques... finissent chez les brocanteurs quand il leur reste de la place pour les stocker, mais la plupart du temps aux encombrants. Est-ce vanité que de rassembler des livres dont Emmaüs ne voudra même plus, des disques, des films ?

 

     Quand nous sommes morts, et tout atteste que nous sommes bien morts et enterrés, tout cela échoit à la décharge. La poubelle en est la luxuriante anticipation, car la poubelle vit, elle vit de nos rêves, de nos espoirs, de nos conquêtes, et nul ne contestera que nous vivons dans une poubelle. Chercher à s’approcher de l’essentiel c’est, comme par un effet d’optique, le pousser à se reculer, l’essentiel ne demeurant essentiel qu’en ne nous brûlant pas les ailes.




 

 

 

Idiot

 

 

     Si mon petit bonhomme de chemin a la joie triste, comme on dit avoir le vin triste, c’est à n’en pas douter pour qu’en insigne réciprocité il y ait de la tristesse joyeuse quelque part. Aucun ping-pong ici, la tristesse joyeuse comme la douce douleur ou la fraîche embrasure est le point de repère d’où nous partons. Nos points de départs sont ce qu’ils sont ; j’ai remarqué que très souvent l’un valait l’autre. Mon petit bonhomme de chemin je l’aime bien.

 

     Le starting-block qui devait me propulser était en papier mâché mais il n’avait pas coûté cher. Traduisez, il n’avait pas coûté cher mais il ne valait rien (paradoxalement ce qui ne vaut rien ne coûte jamais rien), il a suffi d’une poussée du talon pour rompre l’élan. Il faut toujours se fier à l’homologation, pas de starting-block digne de la perf’ à laquelle il te voue sans homologation : NF, NRF, GF, mais non, pas Guy Ferdinande, idiot : Garnier Flammarion !

 

     Le commissaire a été au regret, sic, de me dire que j’avais glissé sur mon starting-block parce que j’avais négligé le fait qu’il était devenu le repaire d’un tas d’infectes bestioles gluantes. Belle argutie ! Les bestioles gluantes prisent le basilic, le rutabaga, une petite feuille de tabac lors d’une échappée dominicale à Harelbeke, mais elles se fichent comme d’une guigne de squatter le starting-block en papier mâché de G. F. Comme un gros malin, il a voulu faire porter le chapeau de la prédétermination à l’homophonie repère-repaire. Mon sacré petit bonhomme de chemin n’est pas un GR mais il a l’œil.

 

 

 

 

Sapience en patience

 

 

     Et pourtant, je l’avais sur le bout de la langue. Quel recéleur que ce bout de la langue ! N’étant pas si pressé (comment le serait-on en ce cas ?), j’ai laissé pisser, comptant bien m’y remettre dès que ça me reviendrait. Sauf que, le temps passant, on perd de vue de se mettre à sauter sur l’occasion en cas de réminiscence, il faut tenir compte de son refroidissement. Un mot désactivé n’est plus qu’une loque. Entre temps, j’ai écrit autre chose sans me soucier de savoir si écrire était ou n’était pas écrire autre chose, autre chose que ce que, de guerre lasse, le bout de langue suggère et abandonne in extremis à côté de la plaque. La plaque ? Cette plaque n’est pas un échangeur, n’est-ce pas ! Ni un rond-point ! Ni un carrefour ! Je m’en doutais un peu, remarque. Bout de langue obstiné, réfuté, envoyé aux pelotes là-bas, vidé de toute suite dans les idées par l’irrévocable plaque, ruiné. Un beau jour on écrira avec l’assistance d’un GPS, tu verras ! On y est déjà.

 

     Je regardais au loin par la fenêtre quand la quinte de toux de la grosse dame de la table d’à côté me tira de ma songerie. Effectivement, j’ai toujours cru que je pouvais remettre au lendemain ce qui me venait à l’esprit, toujours cru qu’il n’y avait pas le feu, que ce blanc intercalaire revenait à ce que la caisse de raisonance doit fatalement endurer pour parvenir à l’ombre de son mât de cocagne. Était-ce que je n’avais pas tout loisir d’envisager les choses autrement ? On ne pense pas comme on ferait du tobogan, ajouter de la matière consiste à retirer de la matière et retirer de la matière, la pente fût-elle savonneuse, à laisser du champ au naturel afin qu’il revienne au galop. Mais qu’est-ce donc que ce naturel si déterminant ? L’autre chose, appelons-le ainsi. Quelle dérision, alors, accole au besoin de me recentrer celui de laisser entendre qu’il me faut, pour ce faire, me décentrer.

 

 

 

 

Quel laconisme des colchiques symptomatisera jamais cet écrit ?

 

 

     Comme a dit le commentateur : « Ne m’en demandez pas trop ! ».

 

     Ainsi qu’il faut un début à tout, posons que pour faire une histoire il lui faut un début : sans début on ne s’achemine pas, on gamberge, on ne fait rien. Le choix de Camille Marteau, Dominique de Boulet Rouge et Claude Mesproufès, nos personnages, fonde ici ce début. C’est Dominique qui ouvre le feu : « Il peut pleuvoir, on s’en balance ! ».

     Trois personnages en quête d’histoire constituent ce début d’histoire, surtout s’ils n’habitent pas, le premier à Maroilles, le second à Livarot et le troisième à Roquefort. Mais même en ce cas, un huis clos virtuel ne serait pas inconcevable, nous ne sommes pas à l’époque de l’internet pour en faire un fromage.

     Ne nous racontons pas de salades, l’histoire, il faut la faire, c’est-à-dire l’enfourcher comme dans Easy rider. Le genre « road movie » nous convie d’autant moins à faire l’économie du sujet que d’un coup de kick il l’entraîne à sa suite, lui et le sujet écrivant. Concernant la nôtre, nous nous en tiendrons à l’éventualité de son déploiement.

 

     Camille, Claude et Dominique aiment la marche, les voici sur le GR 121 B qui, de l’intersection du chemin vert et du chemin du Moulin, à Verlinghem, mène, un petit 10 km plus loin, à l’intersection du chemin du Bas Plat et de la route de Linselles, à Bondues.

     Les entraînant derrière elle, c’est la marche qui, tel le fameux cheveu dans la soupe, pose ipso facto la question de sa chute : comment va-t-il falloir chuter, puisqu’il est écrit que tout aboutit à cela ? Comment prendre congé de la très fictive hypothèse de Dominique, Claude et Camille ?

     Foin d’histoires ! Loin de nous de vouloir la bâiller belle au découvreur de grands espaces. Si le début entend promouvoir une histoire ce n’est jamais que pour exhiber son indissociabilité avec la chute. Le début est tendu par la chute, le début c’est la chute. Dès lors, comment faire de la chute une chute qui soit belle, qui soit notre œuvre ? « Une autre histoire... », dit le commentateur.

 

 

 

 

Tu ne mentiras point

— 8ème commandement —

 

 

     Le jour où l’on me mettra en terre, il serait très malséant que l’on vienne m’affubler d’obsèques religieuses ainsi que je l’ai souvent vu faire à des amis qui étaient athées ou, s’ils ne l’étaient pas, n’étaient pas croyants au sens religieux du terme. Pris de court par la Camarde, ils n’avaient anticipé que l’on pût faire fi de leur conviction la plus intime.

     Non seulement, accepter que cela puisse se faire serait comme consentir à ce que l’on se mente à soi-même mais plus encore ce serait tenter, comme on dit tenter le diable, de mentir au bon Dieu qui voit tout et entend tout.






À contreciel

 

 

     Dans la réflexivité que je tenais devant moi comme ces joggeurs leur iPod machinal, je me voyais marcher entre brassicacées et cucurbitacées, j’avais mon gilet moutarde des grands soirs et une pancarte sur laquelle était écrit « Ceci n'est pas une manifestation déclarée en préfecture ». Aucune fiction ne se justifiant en soutenant n'être pas un rêve de crainte d'avoir à se métamorphoser en réalité, je ne mentais pas. 


    Ces choux pommés qui, sur ma droite, avaient pris position sous le couvert de l'observance attestaient la toute proximité d'un monde en furie avec les cimetières qui hantent nos cœurs. Cimetières, vous n'êtes pas des lieux de recueillement ! Il vous manque l'ombre des arbres, des bancs pour méditer un instant et surtout le beau Temps. Ce que nous appelons temps est toujours du temps compressé qui, comme afin de parer au plus pressé sans que ça coûte un sou, congédie la réponse à la question « où trouverions-nous le temps ? » 


    Sur ma gauche combien de potirons acculés à la becque ? Le temps ne se trouve pas là où nous sommes. Rien n'est rien. Nos légendes ne sont rien à côté de nos énigmes - ni même nos peaux qui peu à peu se détachent du ciel pommelé de Flandre. Rien n'est rien. Quand je serai sous terre, au lieu d'une pierre tombale je vois bien un banc, blanc sous le refleurissement des lilas blancs. 


    

-



Pas de porte

 


            Il ne suffit pas au ciel bleu que d’être bleu pour être bleu, quand bien même je répéterais cent fois bleu. Qui s’est d’ailleurs jamais enquis de la bleuité du bleu ? Mon poème, ça ne marchait donc pas. Manque de bleu, manque d’allant. Fallait que j’aille me faire une petite balade, m’aérer le neurone de toute urgence. Impression que la marche, naturellement égayante, devait être la parfaite exécutrice au chapitre, ne fût-ce que pour la lenteur et l’oxygène censément convoquées pour les citadins que nous sommes. Regardez-les, nos Socrate, Platon, Rousseau, Kant, Nietzsche, Rimbaud... tous ont marché, et  bien marché. C’était manifestement inespéré, mais dans mon cas ça n’a pas eu l’effet escompté : la marche est une combine égaillante exclusive de tout poème, pour un pas en avant une syllabe à reculons. Mais nous le savions, n’est-ce pas, que la syllabe n’est pas le pied !

 

     C’est comme vouloir répondre à la question « ça va ? » qui est moins une question qu’une formalité vernaculaire : « ça va ? », alors l’allocutaire répond « ça va ! » et chacun est quitte, affaire conclue, contrairement à la réciproque « ça ne va pas ? » généralement proférée sur un ton moins badin et à laquelle on serait tenté, tout compte fait, d’accorder que ça ne va pas tant que ça. Mais dans mon cas, ça ne marche pas plus qu’avec le recours à la balade. Non que ça n’aille pas ou que ça aille, là n’est pas la question, la question qui n’en est pas une est que ça me prend de court et que j’en reste comme deux ronds de flan. Le « ça va » n’est pas le savon du bain auquel les pieds du poème pourraient aspirer après leur balade. Celle-ci, infructueuse, est décidément antinomique de la ballade.

 

 

 

 

Ça en vient, ça y va

 

 

     La vie, la vraie, celle qui couve, a beaucoup à voir avec le calepin sur lequel je gribouille mes impressions et qui, lui aussi, ne me quitte pas. Notules en tous sens, ratures, pages recommencées, pages arrachées : vrai foutoir. La vie n’est pas un poème affichant le bel équilibre de justesse, d’exigence, de sens que l’amateur avisé se plaît à reconnaître : elle vient de la rencontre pas vraiment fortuite de deux ventres dans un plumard et va à l’hosto par lequel il est dit qu’un jour ou l’autre nous devons tous passer. Moyennant son content de perfs (de perfusions s’entend), l’hosto peut même s’évérer prétexte à sourire, sourire ponctué d’un pouh ! de dérision.

 

     L’hosto, quand au bout d’une bonne dose d’antalgiques tu n’as plus mal, c’est l’expérience d’une expérience intérieure aussi bénéfique qu’une résidence d’écrivain à Saorge ou à Mouans-Sartoux. Ainsi, quand après avoir remarqué que mes t-shirt, chaussettes et babouches étaient rouges, l’infirmière découvre ravie que mon slip est également rouge. Je lui dis, histoire d’échanger deux mots, que ce matin au marché de Wazemmes les vêtements portés par l’ensemble des badauds étaient noirs, ce à quoi elle répondit : « c’est parce que c’est l’hiver » et fredonna quelques paroles de la chanson de Jeanne Mas, En rouge et noir.

 

     À peu près au même moment, le type du box d’à côté lançait à l’infirmière qui venait de lui demander de faire pipi dans l’urinal un : « Dégagez ! » rageur. Pudique, Monsieur ne voulait pisser nulle part ailleurs qu’aux toilettes... De nos jours, les gens ne se font plus hospitaliser sans emporter avec eux leur smartphone. C’est bien dommage ! Si à Davos en 1911 Thomas Mann s’était adonné au gadget, la littérature du siècle dernier aurait été privée d’un de ses plus grands livres. L’hôpital est un giboyeux lieu d’observation qui mérite que l’on prenne l’expression prendre son mal en patience au pied de la lettre et que l’on ne se départisse pas de son carnet de bord.

 

 



Chez les Agosils (juin 2019)


 


Une Croûte

 

 

     Comme nombre d’entre nous je pense parfois avoir « des choses à dire », comme on dit (c’est comme ça qu’on appelle le mélange de besoin de parler et d’opinions), bien timidement d’ailleurs car mon bagage est léger, mais cette nuit je n’ai aucune idée de ce que je pourrais bien écrire, et pas que cette nuit, d’ailleurs : le plus souvent ! Dans ma carrée, ça ne manque jamais de commencer par de la distorsion.

 

     Sans vouloir instiller un sentiment trop labyrinthique, j’évoquerais néanmoins le désir de me faufiler, ou de me tirer d’embarras. Laisser venir les obstacles, au besoin les solliciter, les disposer devant moi, et tâcher de passer entre eux. Un jeu si l’on veut, en prenant le mot jeu au sens mécanique de fonctionnement, voire de dysfonctionnement résultant d’un défaut de serrage, ou de langage : mon drôle de jeu à moi, c’est ça.

 

     Sait-on jamais ce que met de soi celui qui quotidiennement s’attable pour faire confidence de ses écueils ? S’il faut qu’il y mette son corps, il faut qu’il y mette aussi de son âme, avec pensées, chemins détournés et protocoles. Naturellement, on peut discuter de l’âme de celui qui écrit mais si elle n’est pas ce qu’on attendait d’elle on peut aussi refermer la lecture. Tant qu’on le lit, ce n’est pas pour son âme.

 

     Le moelleux ne partage pas sa langue avec la croûte, pourtant si le moelleux c’est sa croûte (tant que le moelleux est fonction de la croûte qui le revêt), il n’est pas possible de dire de la croûte qu’elle est son moelleux. Alors, Mister Jésus, dis : quel enseignement a-t-on tiré de ces arbres que l’on prétendait connaître à leurs fruits ? Aucun, croûte et moelleux coexistent sous l’œil ronchon du vieux croûton.

 

 

 

 

Fèyssbouc et Gâlimarre

 

 

     Fèyssbouc et Gâlimarre sont deux poèmes et, quoiqu’il n’en paraisse rien de prime abord, deux types de poèmes : le type roturier et le type noble. Point n’est besoin d’évoquer la prestigieuse labellisation de l’éditeur pour distinguer la noblesse du poème Gâlimarre de l’autre, Fèyssbouc, ils ne disent pas la même chose d’eux-mêmes. Leur langue a beau être identique, leur récit est différent. Gâlimarre n’est pas, ne peut être, un poème en temps réel, ses coutures n’apparaissent pas, l’atteste l’indistinction des époques qui permet que se côtoient Christian Bobin et Lord Byron. L’atemporalité propre à l’élévation artistique est son affaire : un ciel bien dégagé, un poème sublimant, pur.

 

     La manufacturabilité informatique de Fèyssbouc, ce n’est pas ça, qui devance tout propos. Certes, la mise à distance conférée par le support papier lui fait défaut mais, plus avant, ce qu’elle décline dans un environnement fort peu délimité, c’est son temps. Avec sa ponctualité de feuilletoniste, sans discrétion aucune, son poète donne à voir l’arrière-boutique de ce qu’il écrit, la matière première de son ingrédient poétique, son planning, le substrat de son humeur, sa transparence même. Par exemple en ce moment, six heures du matin, tandis que dehors il pleut, il est à sa table en peignoir, rien à voir avec le Sherlock Holmes distancié des imageries, la chose est là, patente, déjà mémorisée parmi les milliards de pixels qui lui sont une galaxie.

 

     Faut-il en déduire que l’Antonin Artaud de l’un n’est pas le même que l’Antonin Artaud de l’autre ? Et le René Char ? Et l’Henri Michaux ? Comment peut-on être dans le même lit et en même temps faire chambre à part ? Rien de plus stupide, n’est-ce pas ! Fort heureusement, la proximité de l’en soi et du pour soi ne permet pas ici de distinguer deux Artaud, deux Char, deux Michaux, selon que votre environnement ressortit de Gâlimarre ou de Fèyssbouc. Un doute s’annonce à l’horizon. Groulera-t-il tel l’abdomen en proie aux borborygmes ? Borborygmes plats, croisés, embrassés... Ai-je écrit ce texte pour rien ? Ce ne serait pas la première fois.

 


 



Dans la peau de l’aventurier

 

 

     On coupe la poire en deux, j’essaye d’être concis et toi tu ne me lâches pas d’une semelle. On attaque avec deux entrées, il faut que tu t’imagines deux entrées, comme ça, fichées devant toi. Mets-toi à ma place, deux entrées devant toi, devant nous si ça t’emmerde d’y aller seul. Il y en a sûrement davantage, la vie est une sérénade à tiroirs, mais comme il faut bien réduire la fraction, c’est avec cette double détermination que je t’invite. Deux entrées, l’une à gauche, l’autre à droite. Tu les vois ? D’emblée, l’une des deux occupe ton champ, tandis que l’autre, plus floue, sa jumelle pourtant, se met à l’écart comme afin de convier par sa présence un ordre rassurant des choses. Aussi, quand je pénètre dans la première, celle qui me fait face, c’est, de fait, un choix, un choix non pas en connaissance de cause mais en ambivalente méconnaissance de l’alternative que suggère la seconde entrée. Tu me suis ?

 

     À côté de l’entrée que nous allons prendre se trouve invariablement cette autre qui n’est pas là pour tenir la chandelle ou pour être franchie, seulement pour signifier à quel point la galerie que nous avons tirée au sort n’est justement pas la bonne. Et comme on n’est pas sûr que rebrousser chemin pour aller dans l’autre ne serait pas courir le risque de se retrouver dans un cas de figure inversement similaire, on continue. Ça va toujours ? Si tu as des questions, n’hésite pas. L’embarras du choix est un leurre, il manque toujours dix sous pour faire un franc. Les saillies de ce passage sont fonction de l’habitus. Non, on ne s’en échappe pas, dis plutôt qu’on s’y écharpe.

 

     Si j’avais pris l’autre galerie, que te dirais-je ? Aurais-je l’intelligence de la situation que je n’ai pas ici ? Ici, ce n’est pas que je ne sais pas où mettre les mains ni où poser les pieds, il ne fait d’ailleurs pas si sombre, mon souci c’est de tenir le cap, or mains et pieds je ne les vois plus, sont-ils toujours là ? Et la tête ? Pouvons-nous encore affirmer que nous avons toute notre tête ? Comme déjà je n’ai pas d’idées, il se peut que je n’aie plus ma tête à moi. Ce qui n’explique pas que je marche. Marcher, comme écrire, n’est rien, le handicap survient quand les autres, parfaitement au fait de ce qu’ils attendent de ta performance, n’ont plus qu’une écoute polie à accorder à tes « Hi-oh hio-i-io ! » à tue-tête. On fait des pieds et des mains pour que ça marche mais aussi parce que ça ne marche pas. Tu fais gaffe de ne pas glisser, hein !

 

 

 

 

Lézards poétiques

 

      « Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. Comme ils étaient partis de l’orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Shinar, et ils y habitèrent. Ils se dirent l’un à l’autre : Allons ! faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment. Ils dirent encore : Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre. L’Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Et l’Éternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c’est là ce qu’ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté. Allons ! descendons, et là confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus la langue, les uns des autres. Et l’Éternel les dispersa loin de là sur la face de toute la terre et leur donna tous un langage différent ; et ils cessèrent de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel, car c’est là que l’Éternel confondit le langage de toute la terre, et c’est de là que l’Éternel les dispersa sur la face de toute la terre. »

Livre de la Genèse (Gn 11, 1-9)

 

     Le sentiment poétique qui est universel ne revient pas d’Énoch. Le sentiment poétique qui est universel (et poétique) n’est pas unijambiste, c’est un sentiment qui ne trompe pas.

     Un sentiment qui n’est pas unijambiste marche à la langue comme tout ce qui y va par quatre chemins.

     Pour autant qu’une langue qui point ne fourchant, ne prête à redire (pour autant qu’on ne puisse insinuer qu’elle commence à bien faire), il faut lui reconnaître, sinon lui trouver, ses deux sources : celle qui permet d’être compris par ceux qui ne la parlent pas et celle que ceux qui la parlent comprennent sans comprendre.

     Une langue qui ne fourche pas n’est pas tenue de commencer à bien faire. Tout risque de partir à vau-l’eau qu’elle prenne, comme c’est à 15 h très précises le cas, elle ne vaut qu’à se débabiller.

 

     Le sentiment qui ne trompe pas peut être sentimental, « encore faut-il le dire avec sa langue » disait l’aède qui, égrenant les cordes du phorminx, n’était pas rhapsode pour deux sous ni son verbe de l’hébreu. Sinon, sortir des sentiments battus.

     Les évènements de la tour de Babel n’ont rien perdu de leur actualité.

     Pour saisir la portée du sentiment poétique universel, il convient qu’il soit rapporté à la discrétion d’une langue transverse. À défaut, le tupi-guarani (“jaguar”, “tapioca”, “agouti”, etc.) pour la possibilité offerte que je t’accompagne au gong.

     Et puis “amour”, “paix”, “nature”, que propage, dit-on, cette autre réchappée de Sodome et Gomorrhe.

                

                

         

           

           

            Le Lacéré de la peur

 

 

     D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu peur. Peur non pas d’un seul tenant ni d’une seule couleur, peur diffuse et, si j’entends bien ses excuses, confuse, toujours prête à faire amende honorable, ce qui, elle le sait, a le don de m’exaspérer. Mon attachement si souvent réitéré à Wazemmes et à son marché multicolore m’autorise à prétendre qu’il ne s’agit en aucun cas de la peur de ce qui fait nombre ni celle de quelque fantasmatique surnombre : seulement la peur de mon ombre.

 

     Par exemple, la peur de devoir prendre la parole, la peur de ne pas être à la hauteur face au pic du Midi, la peur de me lever du pied gauche ou d’écraser une crotte de chien avec le pied droit, la peur que la chasse d’eau se dispense de chasser la fécalité, la peur que la sénilité me pende au nez, la peur d’en venir à devoir souffleter un sous-préfet, la peur que mes âneries n’aillent butiner chez les Belges, peur encore d’avoir à répondre au téléphone arabe, peur que le poulet vindicatif ne me balance le pruneau qui lui est une bonne cinse et beaucoup davantage, peur de foncer tête baissée dans la purée de pois matinale, peur de déshabiller Pierrette du regard pour habiller Paulette, peur de rêver d’avoir à faire une seconde fois mon service militaire, peur des avaricieuses demi-mesures et de leurs alter ego les impénitentes démesures, peur que me prenant les pieds dans mon peignoir je dégringole dans les escaliers, peur de ne pouvoir écrire comme je le voudrais ce que je voudrais écrire mais plus encore peur que ce dont je n’ai pas idée ne me vienne pas à l’esprit, peur que la montée des eaux ne fasse sortir de leur réserve ces poissons des abysses dont les dents sont si longues et si tranchantes qu’elles les empêchent de fermer leur claque-merde, peur d’avoir peur, c’est un fait. C’est dire si cette gourde me colle à la peau.

 

     À peureux, peureux et demi ? Je pense à l’ancêtre qui, malgré toutes les raisons qu’il eut de redouter la nature hostile, trouva le temps de faire les enfants inhospitaliers que l’on sait. Depuis, s’il est peu glorieux de passer pour un trouillard, il n’est pas davantage honorable d’en faire état, la vérité n’a rien à y gagner, n’est-ce pas ! Foirer dans ses braies ou être frappé dans le dos par le varicella zoster virus à défaut d’une MDCP calibre 40 ne sont que brouet d’andouille. Rien à écrire, circule !

 

 

 

 

Chassés-croisés

 

 

     Confortablement assises sur les marches de la baie vitrée, les chattes, ces membres cardinaux de la vie domestique, à la fois curieuses et contemplatives, aiment à voir ce qui se passe dans le jardin, et même si, exception faite du passage du hérisson une fois tous les dix ans, il ne se passe rien, ce n’en est pas moins des plus distrayants. 

     Elles n’attendent pas particulièrement que quelque chose se passe mais elles savent que de cet observatoire rien de ce qui pourrait se passer de l’autre côté n’échappera à leur hédonisme. Pour nous, le temps est toujours du temps compressé sans lequel nous ne parerions jamais au plus pressé, pas pour elles.

     Picchu a toujours regardé dehors et dedans par la baie vitrée selon qu’elle était dedans ou dehors, au point de donner à penser qu’elle ne demande à sortir que pour mieux voir du dehors ce qui se passe à l’intérieur. Surplomber, superviser, Don Salluste en arrêt devant ses piastres d’argent n’est pas autrement intentionné.

     Bouboulimic, la nouvelle venue, s’est très vite adonnée à ce plaisant loisir qui ne s’annule seulement qu’en été, quand tout est ouvert. Pour l’heure, n’étant pas nécessairement synchrones, il est courant que l’une est dedans regardant dehors quand l’autre est dehors regardant dedans. Façon non concertée mais judicieuse de ne pas se crêper le chignon.

 

 

 

 

Du néant au lasso de la lassitude

 

 

     Mes amis comprendront aisément que je leur confie que je ne suis rien ; être rien est une proposition compréhensible. Je ne suis rien non parce que j’en ai le droit, ou plus littéralement celui de le prétendre, mais parce que j’ai suffisamment à faire avec ce qui me passe par la tête.

     De la même façon ils comprendront que ce que dit quelqu’un qui n’est rien ne peut non plus être grand-chose : ce que dit quelqu’un qui n’est rien n’est ni grand-chose ni quelque chose, quelque chose étant le contraire de rien, ce que dit quelqu’un qui n’est rien n’est rien moins que rien.

     Ce n’est pas la sagesse qui m’apprend que je ne suis rien et que ce que je raconte n’est rien, la sagesse est affaire de vieux chnoques, c’est doublement l’article de la mort devant lequel tous autant que nous sommes nous bivouaquons et le recours à la langue grâce auquel je puis m’étonner de ne pas leur dire « n’écoutez pas ce que je raconte ! ».

     Si je suis compris par tout, en revanche j’en comprends fort peu, c’est qu’il en faut des mots savamment combinés pour en comprendre un peu plus que fort peu, ce disant je saisis mieux ma vocation de cancre, jadis à l’école.

     Donc je ne suis pas quelque chose : pas écrivain, pas poète, pas dessinateur, pas musicien, pas philosophe, pas français et pas davantage ce nom de l’identité que la filiation a remis à l’improbable, mais je tâche de prendre les choses à la coule tant qu’il y a du bon vin.

 

 

 

 

Bougeant le petit doigt

ou comment se gratter.

 

 

     La vie est unique et les choses innombrables. Que le rapport vie/choses ne soit pas équitable, le petit doigt s’en balance, le monde est rempli de signes auxquels nous ne croyons pas. Ce n’est que quand ils se mettent à converger que nous leur prêtons une attention inquiète.

 

     Désolé ! Que l’auriculaire (parce que « sa petitesse permet de l’introduire dans l’esgourde ») puisse aussi tomber dans l’oreille d’un sourd n’est pas précisément ce qui s’entend par « lever un lièvre », mais entre amis on s’entraide. Ne sais-tu pas que la profondeur n’est d’aucune invocation, que c’est à la chute qu’il convient de rapporter sa profondeur ?

 

     L’abbé Leroux nous avait dit de ne jamais lire La Nausée, « livre diabolique », à moins que « satanique », je ne sais plus, je cite de mémoire. Le lendemain, la moitié de la classe était déjà allée l’acheter au Furet du Nord. Mon père, lui, c’est « il ne faut pas faire autrement que les autres » qu’il disait souvent... (in Mémoires de la Puce à l’oreille).

 

     Jamais aussi silencieux qu’après l’orage, le silence n’est jamais de quelque litanie que ce soit, le Temps jamais aussi beau qu’au plus profond de la nuit, l’herbe jamais aussi verte qu’après la rosée du matin, l’Essence jamais ce qui se révèle après que la pénultième peau soit tombée : l’Essence est aussi une peau.

 

     Mon petit doigt et moi faisons cause commune. Me le mettre dans l’œil est-il le plus sûr moyen de ne pas oublier ce qu’il m’a dit à l’oreille : me défendre d’être face à moi-même comme deux ronds de flan et ne pas lui défendre de faire un doigt d’honneur aux aubergines et aux perdreaux ?

 

 

 

 

La Fraternité, ce n’est pas une raison pour n’y pas penser

 

 

     À l’origine, qui ne s’appelait pas origine alors, les choses de l’organisation sociale ressemblaient fortement à ce qu’elles sont aujourd’hui, elles étaient à la fois opaques et très troubles, le monde était d’autant plus obscur que les hommes ne parlaient de lumière qu’en des termes fort allusifs, personne ne sachant vraiment de quoi il parlait, ni même ce que parler pouvait vouloir dire. Faute de comprendre ce que le mot lumière désignait, ils ignoraient qu’ils vivaient dans les ténèbres et visiblement, si je puis dire, s’en arrangeaient. Ils ne savaient pas, de ce fait, ce qu’était un visage ni ce à quoi ils ressemblaient, et quand ils guerroyaient c’était à l’aveuglette, trucidant au petit bonheur la chance. Le partage de la communauté de destin ne les empêchant d’ailleurs pas de supposer qu’il y eût de la fraternité quelque part, la chose n’était pas coûteuse. Pour qu’ils fussent vraiment frères et sœurs il eût fallu quelque chose comme une matrice, ce qui en l’état actuel de la connaissance continue de rester des plus hypothétiques. Avouons-le, l’origine, c’est-à-dire ce que nous y cherchons, est une hypothèse. Que l’on fasse comme s’il y en avait une — une origine — ou comme s’il n’y en avait pas — d’hypothèse — n’empêche pas les similaires humains de se massacrer comme s’ils n’étaient pas frères, ce qui ma foi ne rehausse pas peu leurs traits communs. Cette communauté ne les a jamais encouragés que ponctuellement à accepter que la fraternité soit une variable d’ajustement.

 

     À l’origine, qui ne s’appelait pas encore origine l’obscurité se fractura et laissa entrer la lumière. Euréka, ou alors alléluia, sinon Big Bang, l’homme n’eut plus l’excuse d’aller par mégarde dans la couche de son frère, encore moins de forniquer avec sa sœur pour peupler la terre. Tout était à revoir, et c’est pourquoi ils substituèrent la parole au grognement, ce qui ne se fit pas du jour au lendemain ni sans mal : qu’est-ce qu’un ventre maternel ? Un frère ? A fortiori une sœur ? Mieux encore : ces père et mère qui les dispensaient de bien des casse-têtes, qui étaient-ils, quels crimes n’avaient-ils pas commis, eux aussi ? Avec la lumière s’ensuivit l’invention du miroir et, promu par le lancinant souci de la marâtre de Blanche Neige ("Miroir, miroir en bois d'ébène, dis-moi, dis-moi que je suis la plus belle "), le succès du film de Walt Disney auprès des tendres rejetons. Perdant insensiblement ce que le mot obscurité avait désigné, ils s’accoutumèrent peu à peu à ce que la lumière totale dans laquelle ils vivaient devînt le retournement des antiques ténèbres, ne craignant que du bout des doigts qu’un jour, à son tour, elle ne se fracturât. En ce sens qui est n’est que celui de l’hypothèse susdite, il pourrait n’être d’origine que devant nous.

 

 

 

 

L’obscure limpidité

 

 

     Et tout à coup m’a pris une incompréhensible colère, une rage indescriptible sans cause apparente qui n’était imputable à personne et qui ne s’adressait à personne, une pulsion d’emportement comme celle qui fait les grands crimes : une colère pure. J’aurais pu les démolir, tous ces temples de l’esprit. Il ne me manqua que de hurler, mais ça c’est parce que je n’ai jamais pu ou su joindre le cri au geste. Si j’avais eu du cri en moi, ç’aurait été comme crient les banquises. Une de ces choses venues des fins fonds des pôles que seuls connaissent les possédés. Les dépossédés, eux, ce n’est pas ça. D’abord ils crient et font crier les leurs, et puis ils s’attaquent aux plus exposés des monuments, ceux à qui on ferait dire qu’ils sont historiques parce que leurs pierres sont déjointoyées, ce faisant ils crient en l’air et ne parviennent à leurs fins qu’à force de pichenettes. Je ne saurais témoigner de ce qu’est leur plaisir en ce cas. Le plaisir c’est comme la colère, quelque chose de subit qu’on ne peut pas dire. Si on le pouvait on le dirait, le problème c’est qu’on ne sait pas où est le problème. L’imprécision de la raison, l’effectuation cristalline et son absence d’agrégats, c’est en substance ce qui fait redoubler cette ire qui casse souverainement trois pattes à un canard.

 

 

 

 

La Nuit du loriot

 

 

     C’est une affaire entendue, nous n’avons rien de si impérieux à communiquer qui n’ait à maintes reprises été dit, les limbes de la communication non verbale recèlent d’autres aplombs, mais nous pouvons toujours revenir à la pluie et au beau temps qui, outre les tubes qu’ils ont inspirés, ne sont pas de sots sujets de conversation, d’eux notre sociabilité n’en finissant pas de dépendre. Et puis n’avons-nous pas toute latitude pour passer du coq à l’âne ? Le chas n’est pas si étroit, il y a place pour de belles digressions. Ainsi du loriot qui par cette nuit sans lune du 23 octobre est passé par l’antichambre. C’est la nuit qui l’a fait venir et c’est lui qui, prêtant à l’effet de revêtir la cause, met la nuit à jour dans la conscience. Il y a deux nuits, celle que confère le mouvement circulaire de la terre autour du soleil pour que les hommes puissent suspendre les impératifs diurnes et celle qui résulte de l’éclipse émise par leur inconséquence, le loriot apporte la première, efface la seconde.







De la concordance

— des gaz lacrymogènes aux gaz à effet de serre —

 


  J’ai sur ma table de chevet du papier et un crayon afin de griffonner mes derniers sursauts de langue avant de céder aux bras de Morphée, chose d’ailleurs fort rare, préférant ordinairement abandonner sur le champ ce que la nuit de toute façon se charge d’effacer, quand bien même je me le serais répété cent fois. La raison en est que pour ne pas gêner Dan en allumant il me faut écrire « à tâtons » et que de toute façon, à ce moment-là, j’ai la flemme. Au saut du lit, des mots redevables à l’automatisme psychique viennent aussi m’interpeller, mais sans aucun rapport avec ce que je m’étais promis de retenir quelques heures plus tôt.

    Dans la nuit d’hier j’ai cependant pris l’« à tâtons » à deux mains et ai écrit : « Ne pas confondre être entassé les uns sur les autres et se serrer les uns contre les autres », ce qui à brûle-pourpoint n’est pas forcément des plus évocateurs. Je pense que ce qui m’était venu à l’esprit c’est que dans la déplorable situation mondiale qui est la nôtre actuellement je ne voyais d’autre alternative que de se serrer les uns contre les autres, un peu comme on dit se serrer les coudes, ou tout bonnement pour solidairement faire corps, je rappelle que j’étais déjà dans un quasi sommeil. La veille ou l’avant-veille, toujours « à tâtons », j’avais écrit « Ce qui est fou est flou ». Rien à en dire, il suffit que l’activité cérébrale du soir invite.

 

 

 

 

In p’tit prout

 

 

     Avec lui — le mot, non la chose —, nous entrons dans le monde litigieux des évocations bruyantes et odorantes, aux antipodes de la bienséance, sans parler de sa morphologie onomatopéique qui nous ramène au temps des colonies de vacances si profus, l’heure de la sieste venue, en déflagrations et détonations diverses, et pour ne rien dire de la communale où le coupable était toujours le premier à affecter une indignation censée l’innocenter. C’est pourquoi j’affirme que ce mot d’enfance, d’enfance de la langue tout autant, est un mot poétique savamment observé. La contiguïté gutturale des « p » et « r », suivie du glissando ad libitum du « ou » aboutissant à l’irrévocable « t » est millésimée ; c’est que « prout » n’est pas « proue » qui moins modestement fit le nom inversement suggestif d’une revue de poésie qui pour rien au monde n’aurait lâché Médor.

 

     Envisagé sous l’angle de la broutille, « prout » est non seulement acceptable mais également affectueux quand une locution comme « min p’tit prout » s’y prête ainsi que je le présume et malgré le silence des dictionnaires à ce sujet. Pourtant, quoiqu’un mot n’ait jamais été qu’arbitrairement le signe de la chose, celui-ci est le type même du mot qui, prononcé lors d’agapes, vous jette un froid durable. La table est plus sûrement l’occasion de petits mots mis dans les grands, de mots qui délimitent les genres, de mots qui fédèrent les joyeux drilles ou au contraire qui auront eu le temps d’attiser les occasions de se prendre aux cheveux avant le dessert ; mais la sensation olfactive que notre « petit p... » véhicule à son corps défendant reste plus prégnante que l’odeur qui, par une malencontreuse échappée, s’immiscerait dans les conversations.

 

 

 

 

La Langue et moi

 

 

     Il y a évidemment des enjeux politico-linguistiques derrière tout ce que nous écrivons et publions, et il m’arrive de sentir passer sur mes pensées la turbulence produite par cette tectonique des plaques qu’on voudrait nous faire croire d’opposition entre anciens et modernes, classiques et avant-gardistes, hommes et femmes, occidentaux et orientaux, et qui m’abuse d’autant moins qu’il ne m’est pas permis de me dispenser d’être tour à tour ici et là et tout à la fois, points de friction inclus.

     Comme il ne m’est pas loisible de me départir de la complexité du monde des langues, je crie : « Trou la la itou ! » à quoi j’ajoute « You kou tra la la ! » compréhensibles dans toutes les langues.

 

 

 

 

Le Dit de l’appétit

 

 

     Le fait est là, faire sa vie c’est comme en cuisine, et ce n’est pas pour rien qu’on y passe tant de temps : faire comme on peut avec ce qu’il y a dans le buffet.

     Ce n’est pas le sentiment d’échec retiré de la chose ratée qu’il faut interroger — avec un peu de goût on arrive à faire des ratages de succulents ratas —, c’est au contraire la violente conviction d’avoir réussi quelque chose qui blouse le simple contentement.

     Bien sûr, s’il y a trop peu on va faire les commissions avec ce qu’il y a dans l’escarcelle, quand bien même le pécule n’y serait que ce qu’il est. Et comme le temps de cuisson n’est pas infini, on se garde d’oublier ce qu’on a mis à cuire et quand on l’a mis à cuire.

     Que la chère, alors, ne soit pas triste ! Que le contentement soit simple et le goût savoureux !

 

 

 

 

À toute chose bonheur est-il si néfaste que ça ?

 

 

     L’homme n’est pas un animal, ou s’il en est un — on peut toujours rêver ! — il n’est pas un animal comme les autres,

     au contraire du mille-pattes qui est un animal comme le dindon est un animal, du bulot qui est un animal comme l’orang-outan est un animal ou de la tique qui est un animal au même titre que le pékinois.

     J’en déduis, faut-il être gamin ! que le cachalot n’est pas son frère en cannibalisme.

 

 

 

 

Un mot pour un rien

 

 

     Ce qui, pour d’évidentes raisons de méconnaissance, ne peut être nommé et que les hommes aiment à personnifier (Dieu pour les intimes) n’appelle rien, ni de croire (de croire qu’il est lui) ni, subséquemment, de l’aimer.

     L’Incognoscible n’a de figure d’empathie pour les hommes que dans la mesure de leur puissance de subjectivation qui est infinie : le loup y vaut l’agneau, le bourreau la victime, le pervers le saint, le vivant le vivant. Sans distinction et sans jugement.

     Ce qui ne peut être nommé ne vaut qu’à faire langue.

 

 


 

Chez les Agosils (septembre 2019)

 


 

AU-DELÀ J’Y SUIS J’Y RESTE

 

 

... ce monde s’est assoupi avec acharnement

 

 

... où il apparaîtra suffisamment vite que ce qui nous importe, nous qui atermoyons coquecigrues et ratiocinations, c’est de faire cavalier seul pour ne rien dire. Nous ne prétendons pas tirer notre épingle de la botte de foin en ne nous joignant pas à la cohorte des bons et loyaux diseurs d’aventures, quoiqu’il y ait deux façons indémêlables de ne rien dire : la façon poétique et l’autre, non moins poétique mais ravalée, comme la colère, comme le glaviot, comme le loriot de la galère.

 

 

 

 

... en voiture avenue de l’Hippodrome, je rentre à la maison. Il pleut. Avec son trafic routier en tous sens, Lille, Lille ville natale, Lille tourneboulée, pléonastiquement conforme à toutes les villes et à la périphérie de laquelle je demeure, n’en finit pas d’être, ne nous hasardons pas à dire : challenger. Au fil du temps, ses rues congestionnées, barrées, déviées sont devenues trop étroites. Y stationner se fait au terme d’aberrants tours et détours. Les garages des maisons particulières n’ont plus ce qu’il faut de largeur pour garer autre chose que des tondeuses à gazon... L’aberration pouvait être rationnelle ou ne pas être, elle l’est. Ah, mince ! j’aurais pu profiter de cette place de parking pour rapidos aller acheter des fleurs, loupé ! l’hypercirculation m’en a retenu. La conduite automobile s’applique à l’art de haute volée à quoi Renault, Peugeot, BMW, Ford, Volkswagen, Audi, Nissan et tant d’autres apposent leurs marques de noblesse. Conduire ou écrire, il faut choisir. Si j’avais pu, j’aurais écrit : « on devrait partir plus tôt ». Ai-je senti qu’une fois rentré je l’aurais oublié, de même que ce à quoi engageait « on devrait partir plus tôt » ? Mais peut-être est-il temps, enfin, que je me présente, je ne l’ai jamais fait jusqu’ici et, face à la prémonition de ma disparition, je me rends compte que pour quelqu’un qui aurait pu faire carrière, carrière... sans rire, la négligence allait être de taille. Je m’appelle Guy Ferdinande, je suis né le 2 février 1950, ce qui me fait soixante-treize ans, français de nationalité sans que j’y sois pour quelque chose, retraité, habitant à Lompret (commune huppée de la banlieue lilloise) dans une maison qui glougloute des borborygmes. Je n’ajouterai pas que ne suis pas sorti 1ère classe à l’armée, que je n’ai obtenu ni le BEPC ni le baccalauréat, que je ne suis pas vacciné... Que n’ajouterai-je pas d’autre ? Que notre maison n’est pas hantée ? Nous sommes le 26 janvier, et toujours la pluie. La nappe phréatique lui en saura gré.

 

 

 

 

... cette porte qui donne sur le monde des autres n’attend pas qu’une clef, elle requiert aussi la préscience de l’événement originaire-légendaire campé loin derrière elle ; c’est toujours comme cela qu’on cherche ce qu’on ne trouve qu’à demi. Ce n’est pas qu’on ne puisse pas déceler quoi que ce soit d’instructif, d’éloquent, nous savons bien que l’objet cherché n’appelle ni claquement de doigts ni euréka, seulement sa reconstruction imaginaire. Faute de porte, on pourra toujours ouvrir la fenêtre, la ténébreuse clarté passée à la limpide obscurité diffusée de façon voilée accordera la joie de danser devant ce large buffet sculpté de chêne sombre, si vieux en effet.

 

 

 

 

... œillet de poète (Dianthus barbatus) et souci des champs (Calendula arvensis) ne se concertent pas pour délivrer au poète une condition, ni non plus pour l’en soulager. Comme celui du fou de ne pas être fou avec tous, le souci du poète (quand bien même la poésie par tous) n’évince pas la déraison, l’invite.

 

 

 

 

... s’élever, maître-mot de toute aspiration, se dépasser, cultiver de la grandeur comme si c’était du blé, devenir grand — plus grand — prendre de l’épi, de la hauteur. C’est ainsi que, se hissant sur ses deux pattes arrière, le quadrupède se fait homme, ou bipède, costaud du bestiaire, malabar des deux hémisphères, la suite n’incombant plus qu’au vertueux exercice d’élongation quantique devant exhausser la verticalité. Tout le convie au sommet, l’invite des remonte-pentes au va et vient zélé notamment, car l’esprit réchappé des vices de forme de la matière, des vicissitudes du vulgaire et des abjections qu’elles enfantent, est émanation des cimes. C’est un fait que personne n’a jamais cherché à diminuer ou à rapetisser que sous l’emprise d’une inclination morbide. La petitesse est antinomique de la multiple splendeur où l’âme se concrétise, la petitesse comme son nom l’indique est minuscule, mesquine, débilitante, médiocre, insignifiante, pas même amie de l’insignifiance car l’amitié est un sentiment trop haut pour elle : plagiaire de l’insignifiance.

 

 

 

 

... mon bureau n’est pas le point culminant de la maison, le point culminant, qui doit d’ailleurs être celui du village, c’est la chambre. C’est à l’ombre du point culminant (à l’étage en dessous) qu’il se situe. Pousse la porte, je t’en prie. Dans mon bureau, tu vas trouver des revues et des recueils de poésie, des livres de philosophie, des romans français, des romans américains, des romans anglais, des romans russes, des biographies, des ouvrages sur la peinture et des dictionnaires. Dans mon bureau il y a aussi des vinyles, des CDs, des K7audio et d’anciennes bandes magnétiques : musique baroque, musique classique et musique moderne ; des vinyles, des CDs et des K7audio de rock, de pop, de blues, de jazz, de chanson française et de musiques du monde. Également, ici en VHS et là en DVD, des films français, des films américains, des films anglais, italiens, japonais, iraniens. Dans mon bureau qui est davantage un atelier qu’un bureau se trouvent les textes que j’ai écrits et les poézines que j’ai publiés, aux murs et dans des cartons mes dessins et collages, d’autres cartons encore de journaux, d’albums photos de nos soirées de lectures. Dans cet atelier qui ne doit être mon bureau que dans la mesure où il est le plus beau des fourbis il y a des instruments de musique qui veillent sur la musique que je n’ai jamais jouée, des bibelots, des souvenirs. Des souvenirs dans l’insignifiant au-delà de mon souk, tout y est...

 

 

 

 

... au-delà du plat dans lequel je mets les pieds, dès que les copains de la neuille se mettent à se crêper le chignon, il y a le four. En respectant scrupuleusement le temps de cuisson, un gratin de pieds, de porc, de grue ou simplement plats, est un mets de roi. En casserole c’est beaucoup moins bon, évidemment ! rien de tel qu’un bon grand plat émaillé ! Il fut un temps où j’aurais pu me soucier de la raison des si habituels pugilats de ces lascars mais c’est fini, j’ai compris que ç’aurait été comme mettre la charrue avant les bœufs. Pour s’en abstenir et peut-être aboutir à une trêve, d’aucuns auraient été prêts à faire demi-tour, ignorant que le sens inverse ne renverse ni la vapeur ni ce qui ne tombe pas sous le sens. Mais les frangins, eux, préfèrent se tomber sur le paletot, et comme le monde refait surface alors !

 

 

 

 

... si je n’avais été si ambitieux, ou si peu ambitieux, à vrai dire j’ai oublié ce que je n’ai pas été, ma méditation, c’est ainsi que je l’appelais, aurait pu déboucher, voire aboutir si une idée de destination rencontrée chemin faisant l’avait accompagnée. Même une mauvaise route, même une mauvaise idée — mauvaise fortune contre bon cœur, dit-on — auraient fait l’affaire. Si ma méditation avait assumé la méditation sans rime ni raison qu’elle était, ou sans envers ni endroit, ou sans enfer ni paradis, et même sans langue française, une méditation à mains nues à laquelle ne manquaient pas les mains, elle aurait accepté d’être manchote. Mais là, sans les mains dans cet oubli, il n’est resté d’elle que sa nudité toute riquiqui, toute menue.

 

 

 

 

... cela fait très longtemps, très longtemps, et même plus, que nous attendons de la vieille métaphore une lumière papier hygiénique qui dira que la partouze au goût de cendre a meilleur appétit que bon dos, elle qui nous écarquille les yeux, pauvres de l’âme que nous sommes, quand la lumière remballe ses mirobolantes myriades. Aussi nous ne nous risquons plus à mettre dehors ce nez que l’on crut creux et qui ne le fut jamais que quand il dit : « Encatanés de tous les pays, tirez les premiers ! » Mais, n’insistez pas, il ne l’est pas ! S’étant fait fort de décréter la mort du coup de dés face aux vers peu reluisants de la recluse, la vétille met maintenant son phore où le cœur n’est de mise que pour faire écho à la sourdine. La source, concierge du mutisme océanique total, ne se jette pas à l’eau. Et nous, à croupetons dans notre conscience, nous restons suggestibles comme les loups à l’orée du bois.

 

 

 

 

... on ne devrait jamais dire « on fait ce qu’on peut », cette excuse qui solliciterait vite une sorte d’apitoiement mais qui n’en prête pas moins à sourire a au fond ce quelque chose de bovin qu’elle dénie. « Je fais ce que je peux » où le degré zéro du dire vrai. Quand j’en viens à me dire que je fais ce que je peux c’est que dans les minutes qui suivent, soucieux de faire plus que ce que je peux, je vais me faire un tour de reins ou un de ces trucs genre coccygodynie ou tendinite de l’aine qui prennent des années avant de se remettre. Il n’y a évidemment pas qu’au physique qu’on aimerait être capable de faire davantage que ce qu’on peut. La possibilité et la puissance sont incommensurables. Voler un œuf ne se paye pas d’euphémisme.

 

 

 

 

... nous sommes dans un film. Indépendamment de l’indécidabilité générale entre rêve et réalité, ce film tour à tour réaliste et onirique est réel. Pourquoi un film ? Pour camper cette matérialité à l’œuvre là où nous comprenons si mal les choses, entendez là où nous sommes. Pourquoi réel ? Parce que c’est, dans la mesure de cette matérialité, un film dont nous ignorons tout de la production, du script, de la réalisation et du reste. Où sommes-nous ? Nous sommes là où nous avons la perception de ce que nous sommes, dans le film naturellement, avec une langue arbitraire, mais pas seulement car si nous sommes les malélocutionnants, les malparlants, nous sommes aussi les malvoyants, les malécrivants, les maldessinants, les malbaisants, les durs de comprenure, les durs à cuire de la feuille de vigne, les insomniaques, les malguéris, les malvivants... Film où il fait tantôt chaud, tantôt froid et tantôt conjointement torride et glacial, c’est dire si l’irréconciliation des pôles tient la route. Quelle dérive aurait pu suivre un pays où il fait toujours beau ? Ce beau pays a fui avant que la question ne se pose. On peut toujours déblatérer et c’est pourquoi, nous les approximatifs, malfigurants, malreconditionnés, malrecyclés, nous déblatérons en marchant à petits pas, ne souhaitant même pas être lus pour ce qu’en toute ignorance nous sommes si peu.

 

 

 

 

... 31 janvier 2023, tout à l’heure la France va manifester son opposition à la réforme des retraites. Le soleil qui pointe le bout de son nez grossira-t-il le nombre de participants que la précédente manif, déjà importante, compta il y a quinze jours ? Oui, répondront en fin de journée les chiffres du Ministère de l’Intérieur, ce qui n’augurera en rien d’un infléchissement de la détermination gouvernementale, nous le savons. Faudra-t-il alors que le nombre de manifestants passe à trois millions à la mi-février ? Non, trois millions de manifestants ne suffiront pas. Que faudrait-il, combien de manifestants faudrait-il, pour faire une masse suffisamment incidente ? Six millions ? Certes, six millions de Français constitueraient une coupe suffisamment pleine pour que le Ministère des Forces de l’Ordre sorte ses fanatiques. C’est certain, arrivé à ce nombre — à ce chiffre dirait la presse — la répression relaierait la mise en abstraction libérale trempée dans l’huile prétextée par Macron, Borne, Darmanin, Martinez, Véran, Chabanier, Pannier-Runacher, Berger, Roussel, Bergé, Rousseau, tous noms mis en exergue de ceux, politiciens agréés, chargés de vider le pot de chambre. Mais pour l’heure, tout est tellement vague que ce que j’en dis c’est seulement pour causer. C’est qu’ici on ne parle pas pour dire, on sait bien que les diseurs ne sont pas les payeurs. À toutes fins utiles on pourrait encore esquisser un dit pour s’entendre parler — parler est si peu dire ! — parler pour tenter le coup, pour jauger, voir venir, s’aventurer, oser la fraternité, l’amitié, comme du temps du fond de la classe : pas pour dire. Mais non ! des masses pop à la messe non moins pop, il ne reste que la désespérante consolation de communier dans le doute induit qu’elle ne soit dite. Que faire alors, continuera d’interroger Vladimir Illich ? Pour moi qui étais tenant que l’on parlât pour mettre son grain de sel dans le plat, vivre sans partager son petit grain restera chose tellement insensée que j’en disparaitrai, j’en suis disparu déjà.

 

 

 

 

... la révolution appelée de nos vœux n’est jamais bien loin, n’a jamais été bien loin, n’attendra rien pour n’être jamais aussi proche.

 

 

 

 

... l’inexcusable babillard ne s’insupporte pas d’obtempérer aux tempêtes qui dans l’innervation font leur charivari maisonné. Il faut ce qu’il faut, a dit l’Ancien après avoir suffisamment rançonné la mansuétude des tournesols – le deuil des primevères aussi, naturellement cher Francis Jammes ! – ce qu’il eût fallu c’est, bris selon bris, déconstruire l’ordonnancement du décorum. Ce filet de langue ressorti de tes campagnes battues jamais conquises, jamais vaincues, tu le files comme cela s’entend avec la peau du tombak, en charnelle incantation.

 

 

 

 

... la vérité en poésie, entre fil du rasoir et fil de l’eau comme entre guerre et paix, comme entre ce qui coule de source et ce qui coupe de source sûre, en deux mots : entre deux. La poésie, ses mots, ses entremots, on ajoute « à la vie, à la mort ». Foin d’alarmes cependant, la vie aussi c’est entre la vie et la mort, entre ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas, y allant même de toutes ses forces « le plus tard possible ». Tenue, tendue par la vie et tirée, soutirée, par ce qu’elle n’est pas, la souricière en sous-main. S’il n’y avait pas de vie, la mort ne te tirerait pas obstinément par les pieds, la poésie en vérité n’est ni entre poire et fromage, ni entre les deux mon cœur balance, c’est entrenous. Dire de quel objet précis je te parle au fond ? Ta question est bien indécidable. Des heures entières nous avons longé les vieux chemins de halage, nous les longeons encore, les souvenirs ne nous pressent pas, « nous avons le temps », comme on dit. Dans sa prévenance un esprit des eaux les retient de nous rattraper.

 

 

 

 

... si les causes de déception n’ont pas manqué, elles sont dorénavant désactivées, la résolution du chou blanc qui eût pu faire croire à la frustration a fondu dans son autocuisson. La prétention de l’insatiable actualité d’ajouter son écot à la déroute, l’excuse était belle pourtant, a fondu elle aussi. Toute lassitude bue, la disparition de l’insolence des choses est tenue au basculement. Eau cette neige dont la fonte se revendique ! Mais comme rien n’est incompréhensible que l’absence d’interlocution (on se rappelle que, du temps où perdre son temps rendait sourd, c’est le plombier de Fernand Raynaud qui trouvait à qui parler), il faut laisser à l’équivocité du sujet le soin de faire son deuil des ecchymoses de l’image narcissique.

 

 

 

 

... d’abord introduire, ensuite développer, et puis la chute (chuter ? en tout cas se réceptionner, retomber sur ses pieds voire, pourquoi pas, boucler), est-ce que ce schéma en forme de saut qu’on dirait périlleux s’applique à toute chose ? Mais de quoi est-ce que je parle, au fait ? De l’expérience telle qu’elle prête à confusion ? De la vie telle qu’elle donne à penser ? De la vie telle qu’elle se prête ou se donne à vivre ? On a beau dire qu’on ne fait qu’entredire, on ne devine pas tout. On cherche, dit-on, mais cherche-t-on vraiment ? Chercher c’est un métier. Et s’il arrive qu’on trouve, par exemple le mot qui tombe pile-poil, ce n’est pas parce qu’un sacro-saint pot aux roses a mis les pieds dans le plat, c’est tout bonnement parce qu’on s’est lancé et que se lancer c’est convoquer. Trouver, mot trop grand, trouver une pépite n’implique pas de trouver un filon. Du point de vue du filon, qui entre-trouve n’entrouvre aucune veine. 5 h 00 du matin, est-ce se vider de son sang qu’entre-trouver et entrouvrir boulottent ainsi ma déambulation idéale ?

 


 

 

... que des silences en disent long, qu’ils soient évocateurs ou trompeusement parlants, quel héliconiste en a jamais douté ? Depuis la lapidation d’Étienne on sait que parler comme on respire aux toupies, aux oreilles des murs, à toute girouette dissipée, a un coût. Être silencieux pour en faire entendre plus ne disculpe pas. Les silences parlants sont ce que nous leur laissons dire et, comme nous nous gardons de nous plaindre, ils ne disent pas ce que nous dirions à leur place. Sur l’autre rive, des voix blettes qui sollicitent, elles aussi, l’accès au chapitre ; rien qui contrevienne à la procédure courante pourtant. Et puisqu’au silence Bobin à qui je dédie ces brimborions ajoute la présence, il faut redire que les farfadets entrent toujours en scène — que quantité d’absences sont des leurres. J’ose imaginer que Bobin ne l’aurait pas contesté mais il est utile de se prémunir contre tout éblouissement, contre toute transcendance lardée de migraines : je me promène dans la nature, au-dessus de moi un rouge-gorge chante, une feuille tombe en tourbillonnant et voilà qu’une grandiloquente présence transfigure ma perception jusque-là négligente. Maintenant que je n’attends plus de la source qu’elle se jette à l’eau, suggestible comme le loup à l’orée du bois, j’acquiesce à « autosuggestion transcendante », oxymore de ce clair matin.

 

 

 

 

... ruines du monde, s’y croisent les mouvements contraires ou ondes froides avant la fermeture des portes. Ce sont ces mouvements contraires pris pour des corps dont la réflexion dans l’ordre du visible est nulle qui composent, parfaitement vectorisée, la péremption. La nuit on restaure l’ombre que fait la souffrance à l’unité ; le jour nul n’entend, ne voit, ne parle, ne comprend « de la même façon », autrement dit la même chose. Au grand dam de toute pensée réfractaire, la réverbération de notre visibilité sur la réverbération de toutes les visibilités devient présomption de fantômes à la sortie du cimetioche.

 

 

 

 

... il ne s’est rien passé, tu n’as pas vu la ruine du monde changer fondamentalement de place, nos latitudes sont ses latitudes, aucune nature morte n’a perdu de son éclat vespéral, l’ombre sait toujours ce qu’elle doit à la lumière, l’hiver ce qu’il doit au printemps, le bruit ce qu’il doit au silence, le fruit ce qu’il doit au ver, la guerre ce qu’elle doit à la paix, Satan ce qu’il doit à Dieu, la duplicité ce qu’elle doit à la droiture, la corruption ce qu’elle doit à l’intégrité. Rien ne doit rien à rien, la moralité des uns et l’immoralité des autres se doivent tout, si tu n’as rien vu, tu n’as encore rien vu.

 

 

Chez les Agosils (octobre 2019)


 

 

... ai-je dit qu’il aurait fallu un fil ? Un de ces vieux fils qui traînent derrière eux un résidu de souvenir, une possible évocation ou qui, éventuellement pris par le bon bout, peuvent encore provoquer un relent, convoquer la bonne évocation ? Ça pourrait être tout moi, en effet, déjà que je n’arrive pas à trouver les livres que je cherche dans ma bibliothèque, comment trouverais-je les lignes qui végètent dans ma mnémotête ?... Allez, chers Gaston Criel, Michel Ohl, Armand Olivennes, Michel Valprémy, Louis François Delisse qui voyez combien je n’ai toujours pas fini de bafouiller, c’est à nous, soyez les bienvenus. Puisque nous sommes entre nous, je suggère que nous laissions de côté tous protocole et considérations sur les choses névralgiques dont vous n’avez pas entendu parler et en venions à nos moutons. Nous nous sommes entendus sur le fait que l’écriture, puisque c’est elle qui prétexte ici, se distingue de celle qui assume le nom galvaudé de littérature, nom qui, s’il fallait le garder, ferait appel à une acception plus charnue que ce à quoi l’inconsistance marchande le réduit. Je n’oublie pas que cette outre-écriture placée au fronton de mon fabularium depuis votre départ, vous l’avez conçue de vos mains sans boule de cristal, que l’addenda des chroniqueurs, des critiques et des philosophes aurait pu la combler de motivantes considérations qui auraient promu la diffusion. Mais ce n’était pas vraiment le but, même si... Pour l’heure, au nom de la sourdine historiale qui est la nôtre, je vous remets les clefs du Prime Abord sans fin sous l’égide duquel nous nous trouvâmes et que dessert le fil constricteur qui n’en finit pas de tenir serrée autour de cette table notre assemblée d’antan.

 

 

 

 

... l’important serait, sera, de continuer de se parler, de continuer à ne pas se comprendre même, voire d’apprendre à moins en entendre, et de ne pas désespérer des dernières gerçures que l’esprit percevra dans le ciment des campanules.

 

 

 

 

... alors qu’une main gauche eût pu tendre au sein qui fait la caresse, les nuages que l’on voyait par la fenêtre se contentaient de passer. Les plus proches, d’un gris léger, filant vers la droite tandis que derrière eux la toile de fond des blancs faisait mouvement en sens inverse. Le va et vient se suffisait à lui-même. Aucun rapport direz-vous. Les nuages passent comme moi je ne pense pas, ou comme moi je pense que je ne pense pas, ou alors comme je ne sais pas à quoi je pense. Allez-y, les nuages ! J’arrivais au terme d’une journée occupée à ne pas trouver ne fût-ce que l’ombre d’un premier mot. Occupée, mal occupée. C’est ça aussi l’écriture et, quand c’est ça, le résultat est ce que tu es en train de lire ici. Même le mot vide dut être suffisamment superflu pour ne pas me venir à l’esprit. On n’imagine pas les hôtes des émissions TV apothéotiques où les Belles Lettres lècheraient le gras du cornet de frites avec ce genre de souci. Ils viennent avec les réponses aux questions qu’ils attendent qu’on leur pose, le firmament de leurs pensées n’attend pas d’être trait pour trait le reflet d’un accord parfait, il accueille plus volontiers la billevesée. Ce sont les plumitifs du théâtre à machines de Jean-Baptiste tentés de dire qu’un rimailleur sachant musarder ne rimaille jamais sans sa muse. Trouve le sein.

 

 

 

 

... le monde des hommes jadis labellisé par les croyances et les connaissances est devenu un igloo de glace et de feu. Il suffit d’approcher la main pour le sentir. Avec le dérèglement climatique, le pilonnage du martyrologe planétaire, les pollutions, la faim, la dernière pandémie en date et le capharnaüm de toutes les misères, tandis que le sol de la raison se dérobe sous son lent pas à pas, celui sur lequel se sont érigées les villes est devenu instable et c’est pourquoi les maisons ont commencé à s’effondrer. L’invariant est mort, un inexorable tremblement de la pensée en fait foi. Je ne scrute pas le ciel, je n’écoute pas la radio, je perçois confusément les voix innombrables de ceux qui crient qu’ils ne comprennent plus rien. À peine rescapée des dix plaies d’Égypte leur langue déglutit la conjuration du ciel et du fiel.

 

 

 

 

... ça m’a pris le lendemain ou le surlendemain, après qu’il m’ait dit qu’il fallait bien que ça arrive un jour. Pourtant, bien avant, je n’avais déjà pas été sans flairer une faille dans sa façon de diagnostiquer, j’aurais eu beau jeu de lui renvoyer la balle, mais je ne l’ai pas fait. On compose avec ses échecs, les échecs n’ont d’issue qu’à être ce qu’ils sont, le monde vivant n’en demande pas plus. Au contraire, je me suis senti curieux. Et c’est curieux comment en ce cas la curiosité, en effet, peut se substituer à l’inquiétude. Ça a commencé avec les jambes devenues cotonneuses ; ensuite, en adéquation avec les jambes, la tête, elle-même fonction des vertèbres, a suivi. Une question de verticalité, de centre de gravité. Au lit, une inflexion sensori-motrice s’est fait sentir au niveau des bras : où les fourrer ? Quelle que soit la place que je leur dénichais ça me tirait, ça ne leur convenait pas. Ah, ma chère vieille amplitude, par quel besoin, peu à peu, de me recroqueviller, de me rabougrir, de me ratatiner, d’être dans mon ratatin comme dans un lit bien chaud, loin de tout superflu, de tout bavardage, de toute ébriété, être dans mon là et y demeurer. Mais pour pouvoir y être il faut pouvoir y entrer, rétrécir, se racornir, et pour y parvenir sécher, sécher sur pied comme le vieux chou miséricordieux des contes qu’on arrête de rapetasser, auquel on donne quartier libre. Mû par une outre-force je me suis enroulé sur moi-même au point de devenir circulaire. Pauvres civilités si empêtrées dans un lointain décorporé, dans leurs feux de tout bois, qui n’imaginaient pas ce qu’est se dessaisir de la quadrature de l’être.

 

 

 

 

... les mots sont comme les animaux, à tel point qu’il serait tentant d’écrire animots. Entamant ce que vous avez projeté d’écrire, vous attrapez par le colback un anima qui ferait l’affaire, vous le pesez, le mesurez, le retournez en tous afin de voir s’il ne détonera pas, si animots et animus l’accepteront. Pour aller dans le sens du poil il n’est pas nécessaire qu’il se présente nu, d’autres à écailles ou à plumes se sont insérés sans difficulté. Cependant, comme les bêtes, les animots se combinent en dociles animots domestiques et en animots sauvages, indomptés. À condition d’être prudent, on peut toujours entreprendre d’amadouer ces derniers, leur sauvagerie sera très vite fonction de la relation que vous établissez avec eux. Outre qu’il n’est pas rare que les animots domestiques mal tenus en plume tournent casaque. Prudence toutefois, aucune âme charitable ne manquera d’y aller de son antienne pédagogiste. En écriture, qui n’aimerait déconner plus qu’il ne déconne, qui n’aimerait considérer le monde avec une ironie farouche, ne pas se laisser embringuer dans le laborieux secrétariat de l’âme, prendre les choses de façon différée, passer à un néo-dadaïsme combiné à un post-surréalisme, à un pro-lettrisme et à un pan-oulipisme ? Nous pouvons nous souhaiter de douces choses tant que nous voulons, ce ne sont que courtoises civilités. Loin de nous de laisser entendre qu’elles n’ont pas leur importance, nous sommes un peuple après tout, seulement que cette importance est creuse. Nous savons bien le peu de poids de ce que nous pourrions laisser tomber dans ce puits sans fond. S’il y avait un fond que l’on puisse toucher nous y descendrions, mais comme il ne faut pas nous faire de dessin nous nous abstenons de toute initiative inconsidérée et comptons les moutons avant que de n’y plus penser.

 

 

 

 

... alors, c’est vous les célèbres vivants, les vivants qui parlez aux vivants ?! Ah, ah ! Et nous, les morts, à qui croyez-vous qu’on parle ? Au Pape peut-être !... Avec leur perception des sons infinitésimaux, les chauves-souris pourraient vous dire de quel rire nous rions. C’est un fait que pour ce qui est de parler, vous êtes prolixes, mais vous entendez-vous ? Vous êtes imbus de progrès mais votre surdité est consternante. Et affliction pour consternation, nous ajoutons à vos dialogues de sourds et à votre artillerie lourde l’affligeante myopie des taupes. Les ombres animées sur les parois de vos galeries vous les balayez du regard et, indifférents au fait que tout ce que vous lisez et écrivez sera illisible dans moins d’un siècle, vous vous empressez de recommander le film à vos petits-enfants et arrière-petits-enfants. Si vous saviez lire les signes, c’est-à-dire les interroger, vous comprendriez que mettre du bitume sur du bitume, ce que vous appelez maintenance, n’engage qu’à ce que plus rien ne circule : vos véhicules sont des cages. Vous faites le choix délibéré de ne pas voir que la terre ne tourne plus et donnez de la culture aux cochons pour leur sucer l’os du pied.

 

 

 

 

... aux heures d’affluence, il y a toutes sortes de mondes censés converger vers la compréhension au fil des axes de grande circulation de la langue qu’il leur faut emprunter pour aboutir aux autres. Tu dis qu’il faut que ça te parle ! Je comprends... Moi, je n’ai pas de problème avec ce que je m’entends te dire. On dit « ça roule » pour répondre à la question « comment vas-tu ? » ou « tu vas bien ? », une petite variation pour ne pas redire les sempiternels « ça va ! », « on fait aller ! », « ça marche ! », « ça boume ! », « ça baigne ! » parfois même « dans l’huile ». Tu imagines le patinage si on répondait « ça roule dans l’huile ! ». Autant pédaler tout de suite dans les choumettes. Et comme tout ça se croise et s’entrecroise sans avoir le temps de s’entendre ! Les uns viennent par ici, les autres vont par-là, ensuite se dispersent et se redispersent jusqu’à aboutir à eux dans l’infinitésimale subjectivité où il n’est d’ailleurs pas dit qu’une bonne étoile leur parlera de façon compréhensible.

 

 

 

 

... ils ne seraient pas faits tant que ça pour s’entendre ? pour se comprendre ? pour s’aider ? s’entraider ? s’aimer ? s’entraimer ?... Le poète qui voit plus haut que le bout de son nez n’avait-il donc pas toujours raison ? Quoi qu’ils se veuillent, ils n’en sont pas moins faits pour s’agripper jalousement aux choses dont ils réclament la propriété et revendiquer ce qu’ils estiment être libre de droits, pour s’encolérer, crier, se détester, se déchirer, s’entredéchirer, se haïr, se détruire, s’entredétruire, s’entretuer, s’accaparer ce que d’autres ont construit. Du point de vue de leurs crottes, ils sont indécrottables, du point de vue de leurs étrons ils sont indétrônables.

 

 

 

 

... c’est vous, innervés de la meurtrissure et du plein emploi, énervés de Be-bop-a-lula qui, après-guerre, avez dit : « Poussez pas, on arrive, on est là ! ». On vous entendait de loin. Le choix ? Sans doute ne l’aviez-vous pas tandis que le productivisme vénal labellisait déjà ses trente marrons du feu. Délégation avait été faite aux machines de trafiquer des homoncules à visages dociles. Longtemps durant personne ne prit garde à la confusion, négligeant que la part du pauvre a un prix. À mesure que ce que l’on faisait n’importait pas davantage que ce que l’on ne faisait pas, ces homoncules devinrent les chiens des humanoïdes qui leur enseignaient l’aboiement. Je me souviens que tout cela semblait vieux comme le monde !

 

 

 

 

Toute chose, depuis des temps immémoriaux, s’effondre.

 

... de la porte d’entrée à la porte de sortie, seulement quelques pas, trois fois rien si ce n’est cet avorton héraut des cent mille pelletées de cellulose requises pour que resurgisse le vieil aède bayant aux corneilles sur son tas de feuilles mortes. Qu’il n’y eut plus d’après, cela continue de faire écho aux oreilles des malentendants. Dans la cambuse, j’ai entrepris de substituer le cri à l’écrit, l’absence de double vitrage permet qu’on m’entende de la rue où parfois un passant s’impatiente. Les villes délaissées ne savent pourquoi elles ne se sont pas vidées de leur sang d’encre. Ce n’est pas parce que je lui dis que j’habite un désert que le piéton ne m’entend pas. Ni lui ni moi ne sommes chameliers et pourtant nous nous sommes parfois croisés. Le solitaire que je suis, n’y est pas si seul. Il ne m’entend pas comme notre exode exsude les mots perdus d’une pauvre mémoire où ma folie ressemble à la folie.

 

 

 

 

... le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle. Je n’ai pas envie de sacrifier au poème cette nuit. S’il te vient que je n’ai jamais dû en écrire, c’est que tu as égaré ce que je t’ai confié. Mais tu as raison, la précision commande de ne pas négliger ce que la fédération du fleurisme doit aux fleurs du bon aloi. Qu’il se présente vinaigre sur l’ongle ou wingsuit sur canapé, gardons tel quel notre délire. Autant il fut raisonnable à une époque mortellement disciplinée d’insuffler ce qu’il fallait de chambard pour ne pas sécher sur pied, autant il serait néfaste pour soi d’ajouter du chaos au chaos. Il a suffi que l’ordre et le désordre, l’attraction et la répulsion, la vie intérieure et le souk mondialiste, tour à tour hostiles et solidaires, fassent tourmente de tout bois.

 

 

 

 

... on n’apprend pas grand-chose, ni à l’école, ni de ses père et mère, ni de l'irrécupérable mémoire, à peine quelques titres de livres de chevet après dissolution. L’astreinte au blettissement de la peau observée à son corps défendant ne s’apprend pas. Le filet d’air convoyeur, son nom ne s’apprend pas : Charon. Le truchement du rapport des signes acoustiques et concepts qui le constituent est fort peu différent de celui de nos ancêtres il y a 300 000 ans. De ce qu’on m’a dit de retenir, j’ai, d’une part, peu retenu, d’autre part bien désappris.

 

 

 

 

« Homme, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière » (Genèse 3, 19)

« Homme libre, toujours tu chériras la poussière ! » (L’homme et la poussière)

 

... certes, car la poussière sera infiniment recyclable. Elle l’est déjà. Avec elle nous nous chaufferons, nous vêtirons, mangerons et boirons (l’eau de poussière sera excellente alors), voyagerons, pêcherons le poisson poussiéreux, penserons poussière dans une vallée de larmes poussiéreuses, aimerons en poussière la femme empoussiérée, rêverons poussière, nous raserons gratis et si tout cela fait beaucoup de poussière, cela fera aussi un beau pactole : asphalte, air du temps, tricots de peau, jus de fruits, romans de gare, missels, bonnes pensées du matin, justes causes, car bien évidemment nous continuerons à guerroyer en juste désespoir de cause.

 

 

 

 

... par contre il est très rare que la compréhension, l’entente, l’harmonie, la paix en somme, ne reposent pas sur une insoupçonnable part de malentendu. On entend et on voit comme on ne capte pas tout, comme on subjective à défaut de comprendre, comme on fait comme on l’entend, c’est-à-dire comme on peut, au bénéfice d’une part d’incertitude. La musique est imparfaitement affaire d’écoute, l’écriture arbitrairement affaire de lecture, la peinture incidemment du ressort du regard, en art, œuvrant avec, accrochée aux basques, une part décisive de déraison que d’insignifiants démons s’arrogent sans vergogne, l’approximation déjouée porte le nom de science.

 

 

 

 

... c’est à son élocution, à sa diction, à sa vocalisation, qu’on reconnaît celui qui sait. Il aime à faire savoir que sous couvert de ce qu’il sait il a le droit de parler. Ô son éloquence ! Déjà ça, l’éloquence, et la voix. Le cocasse, si cocasse est le paradoxe qui convient, c’est quand d’aucuns, dont on comprend bien « qu’ils savent », se penchent vers vous avec cette inimitable humilité qui n’appartient qu’aux gens ayant longuement pratiqué la conviction pour vous confier qu’ils ne savent pas. Que ne savent-ils pas ? Qu’ils nous ressemblent ? Qu’ils sont comme nous ? Ils se gardent bien de le divulguer, mais ce vilain petit secret vaut amplement acte de contrition.

 

 

 

 

... du blé en herbe au grain à moudre, il y a, à croupeton sur une duplicité qui ne se décline qu’en s’amenuisant, la vie provisoire, la vie labellisée par la suprématie sacrificielle des notes intimes auxquelles on s’astreint sans raison ; le titre qu’on leur donne et qu’exténue chaque mot ne se rhabille pas, il babille tel ce fil retors qui se tord et se retord. D’ores et déjà la liquidation des biens bat la campagne : mouron pour les p’tits oiseaux, toison d’or des Mélisande, colifichets. L’assortiment des passe-droits, des idées reçues et des révolutions n’a jamais manqué de bifurquer à l’ombre des micocouliers. Héraclite d’Éphèse, lui, se mouche bien du pied. Le journal intime n’a pour toutes lunettes de vue que des lunettes de soleil insubmersibles, de celles qui dispersent la petite culotte des antiques effluves au soleil couchant. Le tribunal des lieux communs à son silex, le grand luxe consistera à continuer de se parler, à continuer au besoin de ne pas se comprendre. Ce ne sont pas funestes brèches que ces ultimes fleurettes sur lesquelles nous sommes invités à nous tordre la cheville.

 

 

 

 

... si avec ma Monkey j’avais vadrouillé aussi large autour de Lompret (Longo Prato) que Bernard autour de Vaduz, j’aurais rencontré des Flamands, des Wallons, des Artésiens et des Picards ; aucune lecture ne se serait contentée d’une aussi mauvaise pioche. Pour pouvoir justifier de noms autochtones rapportés de mon périple autour du nid d’aigle où je demeure, il m’a fallu tourner serré. Suis le guide, c’est par ici !... Tout autour de Lompret, terre d’écueils et de trouvailles, il y a des Verlinghemois, des Pérenchinois, des Lommois, des Lambersartois, tout autour de Lompret il y a des Frelinghinois, des Houplinois, des Prémesquois, des Capinghemmois, tout autour de Lompret il y a des Andrésiens, des Marquettois, des Wambrecitains, des Quesnoysiens, tout autour de Lompret il y a des Deûlémontois, des Warnetonnois, des Ploegsteertois, des Bizetois, des Armentiérois, tout autour de Lompret il y a des Chapellois, des Ennetiérois, des Englosiens, des Sequedinois, des Loossois, tout autour de Lompret il y a des Lillois, des Madeleinois, des Marcquois, des Bonduois, des Linsellois, tout autour de Lompret il y a des Cominois, des Houthemois, des Heuvellanders, des Erquinghemmois, des Grenésiens, il y a des Radinghémois, également des Escobecquois, d’autres Erquinghemois, il y a tout autour de Lompret des Hallennois, des Haubourdinois, des Emmerinois, des Wattignisiens, des Faches-Thumesnilois, des Ronchinois, des Lezennois, des Hellemmois, tout autour de Lompret il y a des Monsois, tout autour de Lompret il y a des Wasquehaliens, tout autour de Lompret il y a des Mouvallois, des Roncquois, des Wervicquois, des Bousbecquois, des Maisnilois, des Beaucampois, des Santois, tout autour de Lompret il y a d’autres Houplinois, des Noyellois, des Templemarois, des Vendevillois, tout autour de Lompret il y a des Lesquinois, tout autour de Lompret il y a des Villeneuvois, tout autour de Lompret il y a des Croisiens, des Roubaisiens, des Tourquennois, des Neuvillois, des Halluinois, des Meninois, des Fromellois, des Fournois, des Wavrinois, des Gondecourtois, des Seclinois, des Avelinois, des Fretinois, des Péronnais, des Sainghinois, des Anstinois, des Chérengeois, des Tressinois, des Forestois, tout autour de Lompret il y a des Hémois, des Lannoyens, des Lyssois, des Fleurbaisiens, des Saillysiens, des Aubersois, des Herlilois, des Wicrois, des Sainghinois, des Donois, des Allennois, tout autour de Lompret on trouve des Chemynois, des Phalempinois, des Attichois, des Avelinois, des Ennevelinois, des Louvillois, des Cysoniens, des Bouvinois, des Grusonnois, des Basiliens, des Willemois, tout autour de Lompret il y a d’autres Saillysiens, il y a aussi des Toufflersois, également des Leersois, des Wattrelosiens, des Estaimpuisiens, des Mouscronnois, des Illilois, des Marquillois, des Hantayeurs, tout autour de Lompret il y a des Basséens, des Saloméens, des Billy-Berclausiens, et toujours avant que de s’égailler en pays minier, des Bauvinois, des Provinois, des Annœullinois...

 

 

 

 

... fin de règne, fin de rêve, fin de non-recevoir, fin de siècle, fin de vie, fin de confinement, fin du sacré, fin du monde, fin des haricots, fin de la pensée, fin de la réalité, fin de la jeunesse, fin de la poésie, fin de l’amour, fin de l’histoire, fin de la tchatche, fin de la paix, fin de l’espoir, fin de la fin — fin du fin ? Non, efface ça, c’est mauvais ! Quand même, Kriemhild vient à nouveau de frapper Hagen de Tronje avec lépée de Siegfried avant dêtre à son tour abattue par Hildebrand : nous sommes imbus de fins. Etzel va ordonner que sa dépouille rejoigne celle de Siegfried auquel elle appartient toujours — terminus.

 

 

 

 

... ou ça raconte quelque chose ou ça n’en raconte rien. C’est un fait. Rien que ça ! Quoique ça ou rien ce soit déjà ça, déjà puisqu’incontestablement, et d’ailleurs rien ne raconte rien si ce n’est ça ou presque qui ne veut rien dire d’autre que ce que seules tant de choses dissimulent... comment se permettrait-on de chanter si les fleurs n’éblouissaient pas ? Comment fleuririons-nous nos élans si les oiseaux ne chantaient pas ? Et que dire du feu aux fesses des cocotes en papier ? des poissons d’avril qui barbotent dans l’aquatinte ? Comme si l’insatiable malamour soucieux de tenir bout à bout la vie et le vivant allait divulguer les trous de sa trésorerie !... Aujourd’hui, c’est la pluie et le beau temps en guise de sous-bois qui obscurcissent la boule de cristal. Vivre a beau être un récurrent défaut de fabrication, une faute nécessaire, fatale en effet, le déchant continuera de s’éventer avec la houle pour briser là le mot de la fin.